Ginette Kolinka : récit d’une rescapée d’Auschwitz-Birkenau

30 avril, journée de commémoration des victimes de la déportation ; 8 mai, capitulation allemande et fin de la guerre en Europe. En cette période, date anniversaire de la libération de la plupart des camps de concentration nazis, n’oublions pas l’irréparable, et comment la France, terre d’asile, a participé au génocide juif. Les éditions Des ronds dans l’O nous proposent une bande dessinée accessible dès le collège,  Ginette Kolinka, récit d’ une rescapée d’Auschwitz – Birkenau. Pour se souvenir, et continuer à transmettre la mémoire des victimes. L’auteure, Aurore D’Hondt, a reçu un choc en écoutant la survivante, venue témoigner dans son école d’ingénieur. Le résultat est fidèle et, forcément bouleversant, réussissant à traduire comment de si nombreuses vies ont basculé dans l’horreur. L’ouvrage est enrichi d’une photo de l’auteure aux côtés de Ginette Kolinka, de 6 fiches d’explications historiques, et de la traduction des expressions en allemand.

Ginette grandit au sein d’une famille juive, avec ses cinq sœurs et son petit frère. La guerre éclate lorsqu’elle a 14 ans. En 1942, Hitler déclare : « la conséquence de cette guerre sera l’extermination des Juifs ». L’étoile jaune est imposée, mais le père de famille, né en France, reste confiant. Puis le contact avec les non-juifs est interdit – donc également le travail ; l’accès au rationnement, limité… Suite à une délation pour communisme, la sœur aînée et son mari étant résistants, la famille fuit en zone libre, à Avignon, et se fait passer pour orthodoxe. Mais une nouvelle dénonciation entraîne la déportation du père (61 ans), du petit frère de 12 ans, du neveu de 14 ans, et de Ginette, alors âgée de 19 ans, au camp de transit de Drancy. Un convoi de 1 500 personnes est constitué. L’implacable processus nazi, toujours le même, est enclenché : interminable voyage en train dans des wagons à bestiaux, faim, honte, promiscuité des corps serrés les uns contre les autres, insupportables odeurs, chacun se soulageant sur place. Et à l’arrivée, les plus faibles embarqués, sans le savoir, en direction… Des chambres à gaz.

Madame Kolinka décrit tout, car après avoir longtemps oublié, tout lui est revenu : arrivée au camp de travail, peur, humiliations, souffrances, maladies, fatigue extrême et affaiblissement, poids de la terrible vérité sortant chaque jour des cheminées… Si elles ne sont pas reproduites ici, les exécutions sont régulières : « sous chacun des pas, une personne est morte à cet endroit. » Après 9 mois d’enfer,  Ginette est transférée au camp de Bergen-Belsen, où il faut en plus affronter les bagarres et les nuits sur le sol gelé, mais finalement, un lit, un peu de chauffage, et l’entraide des ouvriers de l’usine. Et puis à la libération, c’est encore de grandes souffrances avec le typhus, l’impossibilité de manger, et surtout, la vérité, si dure à partager… Alors la résilience passe par une grande période d’oubli.

Chaque chapitre plante le décor, en une double page sommaire mais explicite. Les cases nous immergent ensuite à hauteur d’homme – nous rappelant que tout cela est bien réel, a bien eu lieu. Le dessin rond et naïf en début de livre peut surprendre. Mais le style correspond bien à l’état d’esprit de la jeune Ginette, adolescente gourmande : la vie est belle malgré tout, la famille grande, joyeuse, et pleine de ressources, et la France la protège. Le contraste est saisissant quand le rideau tombe : le dessin se fait anguleux comme les corps des prisonniers, les cris des kapos tranchants et leurs gestes violents. Le blanc laisse place à l’obscurité. Les groupes deviennent des pions noirs – des matricules. La jeune auteure réussit à transmettre beaucoup d’émotions à travers les regards des personnages, inquiets, tétanisés, anéantis. Déshumanisés, ils n’ont même plus de visage… Et le récit se fait silence lorsque les mots ne suffisent plus… Au dernier chapitre, le temps fait son œuvre, la vie se déroule en quelques planches touchantes, jusqu’à ce que naisse, finalement, le besoin de parler.

Après avoir longtemps enterré son cauchemar, Ginette Kolinka s’est souvenue de tout, et elle a parlé. Aujourd’hui et demain, son témoignage pourra continuer d’être connu : « voilà où mène la haine ».

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.

© Des ronds dans l’O, 2023.

Un commentaire Ajoutez le vôtre

  1. Bibliofeel dit :

    Merci d’avoir mis en lumière cet album et d’avoir trouvé les mots pour en parler !

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s