Jumelle T1 Inséparables

La gémellité intrigue. Comment est-elle vécue ? Contrainte ; Richesse ? Source de jalousie ? D’exclusion ? Quelle est la place de chacun dans ce duo, dans la famille ? Florence Dupré La Tour propose, aux éditions Dargaud, sa vision autobiographique et très personnelle sur cette situation, avec une nouvelle série, « jumelle », où le tome 1 annonce clairement la couleur : « inséparables ». Les traits volontairement enfantins ou caricaturaux – mais néanmoins travaillés – nous plongent dans une histoire à la fois introspective, très drôle et riche en références, événements et émotions.

À des passages sans texte, à quelques onomatopées, succède un récit à la première personne. Les mots sont justes, l’écriture appréciable ; des légendes viennent parfois compléter cet équilibre. L’accord parfait entre les textes et images correspond à celui des jumelles. Flo ne se sent complète qu’en présence de Béné. Les autres – même la grande sœur ou la mère – sont vécus comme des intrus. Flo se sent puissante, sans limite. Divine. Elle est aussi celle qui rit et qui fait rire. La relation est fusionnelle, les filles parlent d’une seule voix : « on va jouer ! On s’est fait mal !… » et agissent d’un bloc. Ainsi, plus que l’uniformité génétique, c’est le développement d’une culture commune qui les attache l’une à l’autre… Non sans malice !

En Flo grandit un devoir de protection envers son âme sœur, et une idée germe dans sa tête : « je suis le garçon de Béné ». Va-t-elle dès lors développer un sentiment de méfiance envers les autres ? D’injustice en cas de choix arbitraire ? Les parents ont-ils une préférée ? Les repères des filles (maison, école…) sont régulièrement chamboulés. La peur qu’elles peuvent éprouver à l’école contraste avec l’émerveillement et la sérénité de Nagot, grande propriété nichée dans un recoin de Champagne Ardenne. Ce paradis naturel est source de riches observations animales. Il éveille aussi un premier désir de différenciation. Mais chaque changement de vie ressoude les jumelles.

Comment Flo, qui imagine les femmes comme des barbies futiles, va vivre la transformation progressive de son corps qui s’affirme féminin ? Et le départ de la famille en Guadeloupe ? Il faudra attendre le tome 2 pour le savoir !

Si les dessins de « jumelle » apportent une belle force au récit, c’est, en premier lieu, parce qu’ils transmettent beaucoup d’émotions. Les personnages sans nez ont des bouches et des yeux grandis, donnant à notre Flo – la rouge – un air de Ponyo. Certaines cases sont irrésistibles, lorsque les filles font la même chose, en mimétisme, où s’amusent l’une l’autre, avec des joies décuplées. Pleurs, peur et colère sont accentués par des gestes de surprise, des onomatopées, et par les yeux rouges ou cheveux dressés sur la tête. L’absence de cadre apporte spontanéité et dynamisme, et contribue au caractère personnel de l’ensemble. L’auteur empreinte des représentations des contes et légendes, mythologiques, ou encore des dessins animés. Elle joue sur la reproduction d’éléments en miroir ; et sur des images plus figuratives, que ce soient celles d’un ensemble mathématique, des brins d’ADN, un cerveau, ou encore les mécanismes à l’œuvre dans la relation entre les protagonistes. Une nature vierge et protectrice revient de façon itérative au fil des pages, apportant douceur et harmonie des couleurs.

La bande dessinée était attendue et plaira aux lecteurs, parce que l’autrice se livre ; que le traitement graphique est original ; et que derrière une apparente simplicité se cache un récit profond, autour d’une grande question : qu’est-ce qui définit notre identité ? Florence Dupré La Tour a aussi su retrouver et retranscrire ses ressentis d’enfant, avec toutes les torsions que peut faire un cerveau pour s’inventer son histoire, trouver sa place, donner du sens à ce qui est vécu. La question du genre est également abordée, et avec elle les dérives d’un schéma paternaliste parfois violent. Et finalement, concernant le sujet central, la question est inversée : comment font les autres, ceux qui sont seuls ?

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.

© Dargaud, 2023.

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