« Refuge(s) » est une bd documentaire de Laurent Lefeuvre (créateur du super héros breton Fox Boy) qui réunit deux reportages, l’un sur les réfugiés issus du démantèlement de la jungle de Calais en 2016, l’autre plus récent sur les réfugiés ukrainiens, tous accueillis en Bretagne. Ces deux reportages sont nés d’une demande de la CMCAS Haute Bretagne. (Caisse Mutuelle Complémentaire et d’Actions Sociales).

Les deux récits différent dans leur approche mais dans les deux cas, le contexte historique, géopolitique est rappelé à l’aide de cartes, de schémas. Cette mise en perspective est réalisée de façon claire, intelligente et ne nuit en rien à la lecture, bien au contraire.

Dans chaque partie, la parole est donnée à ceux grâce à qui la solidarité est possible et qui mettent tout en œuvre pour accueillir les exilés dans les meilleures conditions.

Dans le premier documentaire (d’abord édité en fascicule sous le titre  » Breizh Migrants « ), Laurent Lefeuvre nous expose la situation géopolitique des pays d’où sont issus les réfugiés, les causes du départ, leur douloureux « voyage » pour arriver jusqu’en Europe, puis le long parcours administratif pour faire une demande d’asile. L’auteur part à la rencontre des réfugiés avec, comme il le dit lui même, toute son ignorance mais aussi ses a-priori. Les exilés sont accueillis dans des villages vacances. La barrière de la langue rend les premiers échanges difficiles mais le dessin facilite l’expression. En effet, Laurent Lefeuvre propose aux personnes de faire leur portrait, ce qui facilite la mise en confiance et la libération de la parole. Le dessin est une véritable passerelle entre deux mondes très différents…

L’arrivée d’une interprète permet à l’auteur d’obtenir des témoignages, des récits de vie très durs, bouleversants.

Le dessin est réaliste, l’artiste est doué pour réaliser le portrait des personnes de façon détaillée à l’aide des feutres Posca. Il sait retransmettre les émotions et le regard à la perfection.

La deuxième enquête débute en 2022. L’approche est différente, en effet, l’auteur n’apparaît pas, contrairement au premier. Il laisse la place à une ukrainienne, Anna Kysilova, rencontrée au début du reportage. Elle parle français. Elle sera la traductrice des échanges réalisés avec les ukrainiens accueillis.

Elle est même créditée en tant qu’auteure du reportage. Sa connaissance du français permet le recueil de témoignages saisissants sur la guerre en Ukraine, où se mêlent espoirs, résilience, peurs, colère…

Nous notons une évolution du dessin. Les feutres Posca sont toujours présents, mais certains portraits, d’une beauté absolue sont travaillés avec une tablette graphique sur Photoshop d’après les photos du bédéiste. Ce dernier a préféré cette méthode pour « se concentrer sur l’écoute lors des rencontres ». Il a réalisé un gros travail de tri, de recherche d’angle de travail et aussi d’écriture. Le résultat est stupéfiant, nous ne pouvons nous empêcher de faire le rapprochement avec Bill Sienkiewicz. Les couleurs sont magnifiques, le travail sur la lumière est comme toujours extraordinaire. Parler de lumière, de beauté peut paraître paradoxale pour évoquer un sujet aussi sombre, mais il s’agit, entre autres, de démontrer que le tyran de Moscou n’a pas réussi à briser les ukrainiens, leurs espoirs et leur volonté de se battre pour leur liberté.

L’absence de lumière est du côté de l’agresseur. Aussi, nous sommes scotchés devant la galerie des dictateurs (dont la liste n’est pas exhaustive, comme l’indique l’auteur) dans une double page. L’artiste sait saisir et retranscrire leur regard de fous dangereux, ou pour certains, comme Poutine, l’absence de regard, l’égocentrisme, la haine et la bêtise.

Après la lecture de cet ouvrage, nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que la qualité qui dégage le plus dans les dessins et les analyses, les textes du scénariste-dessinateur, est sa générosité ! L’album, au format à l’italienne, est édité par Komics Initiative. Il sort le 28 avril en librairie. Il s’agit d’une deuxième édition, la première étant sortie en octobre 2022, en petit tirage et donc très vite épuisé, victime de ses nombreuses qualités.

Chronique de Gédéon Groidanmaison

©Komics Initiative, 2023.