Maria Montessori a fait de l’éducation le combat de sa vie. Est-ce parce qu’elle a du faire adopter son fils à la naissance qu’elle a consacré tant d’énergie pour permettre aux enfants de s’épanouir, d’être libres, d’avoir droit à l’autodétermination ? Ou encore parce qu’elle a croisé le chemin d’Anne Franck, qui a bénéficié de ses méthodes d’apprentissage ? Les éditions Steinkis nous proposent une bande dessinée portant haut ses valeurs et ses luttes. La maison des enfants – Maria Montessori, observer pour apprendre a été écrite par Halim, auteur humaniste investi, autour d’un scénario bien ficelé, profond, engagé et facile à lire. Caterina Zandonella a réussi une mise en dessin tout en douceur, mais qui dégage également beaucoup de force. Et elle nous offre une colorisation épatante. Un coup de cœur !
Plutôt qu’un récit biographique linéaire, l’histoire démarre lorsqu’une petite fille découvre, ravie, une maison des enfants. Et, à notre surprise, cette petite fille, c’est Anne Franck. Ainsi, nous sommes d’abord immergés dans le quotidien des lieux, où les enfants s’activent librement avec les plantes et outils pédagogiques à leur disposition. Puis Maria Montessori rend visite à ces enfants, et leur raconte son histoire… Qui est aussi la leur. Née en 1870, excellente élève, elle entre en faculté de médecine contre l’avis de son père, et devient l’une des premières femmes médecin en Italie. A partir de 1896, elle bouleverse le quotidien d’enfants internés, leur donnant accès aux jeux puis à une scolarité. En 1898, enceinte, elle est poussée par sa mère à continuer sa carrière, et c’est un grand déchirement pour elle de laisser son enfant à un orphelinat. Elle le retrouve des années plus tard, il créera avec elle une association Montessori internationale, et il la suivra dans ses voyages. Les batailles intérieures de notre héroïne rejaillissent sur celles qu’elle mène à l’international, jusqu’en Inde où les pratiques culturelles l’influenceront grandement.
Dans le dialogue qui se crée avec les enfants, et dans les cris intérieurs qui résonnent, il est question de justice, de droits des enfants, d’égalité hommes-femmes, et d’égalité tout court… Les écrits d’Anne Franck font écho aux aspirations de Maria Montessori pour la jeunesse, qu’elle puisse devenir celle qu’elle rêverait tant d’être. Mais Anne se sent comme Bambi, à se cacher pour ne pas se faire tuer. Au contraire, dans la pédagogie Montessori, l’enfant est autonome, dans l’action, connecté à ses sens, aux autres et à son environnement.
Le trait, souple, joue sur la superposition de crayonnés blanc, gris, orange ou noir, donnant une place au ressenti et aux jeux de lumière tout autant qu’au réel, et participant à la mise en perspective des scènes. Profil éclairé à la bougie, paysage de Rome au coucher du soleil, ou d’une rue dans la nuit, évocation de souvenirs, drames déchirants… Les couleurs et les émotions s’entremêlent en finesse, comme les volutes qui semblent entourer nos protagonistes dans la tourmente. De tendres pastels beiges, rose, bleus, orange, apportent joie, sérénité et créativité. Ils contrastent avec le noir symbolisant la terreur qui envahit certaines pages. Et la dessinatrice libère les cases d’un découpage classique, comme Maria libère les enfants des uniformes et formatages. Les pleines pages allient une intensité graphique à celle du sens donné à la scène. Nous en sortons bousculés et grandis.
De belles phrases résonnent en nous pour longtemps, par exemple : « Les seuls murs qui existent sont dans notre tête, ne l’oublie jamais » ou « libérez le potentiel de l’enfant et vous transformerez le monde avec lui ». Le livre relie plusieurs grandes histoires, celles de Maria Montessori et d’Anne Franck, celle de Gandhi qui se bat pour l’autodétermination des peuples… Il révèle l’héritage intime et collectif qui anime la pédagogue. Il souffle sur l’album un vent d’énergie positive, semblable à celui qui anime les enfants à qui on laisse la possibilité d’évoluer à leur rythme. La démonstration est aussi magistrale qu’agréable. A découvrir au plus vite, pour les 100 ans de la déclaration des droits de l’enfant !
Chronique de Mélanie Huguet-Friedel.

©Editions Steinkis, 2022.