2023. Un groupe s’est noyé à quelques mètres des côtes italiennes dans « l’indifférence générale ». Une fillette d’environ 3 ans a été retrouvée, morte, la tête dans le sable, dans la même position que le petit Aylan Kurdi en 2015. Mais contrairement à lui, sa photo n’a pas fait le tour du monde ni engendré la moindre réaction politique… L’Italie a voté une loi limitant les sauvetages en mer. Les risques pour les migrants sont toujours aussi forts, les bilans toujours aussi dramatiques et traumatisants. Dans ce contexte glaçant, Petit à Petit a édité un Docu-BD très complet, mais également immersif, par les histoires croisées d’une mère et sa fille réfugiées syriennes, et de deux migrants guinéens. Emmanuel Marie, sociologue de formation et auteur de plusieurs ouvrages de type documentaire, s’est attelée au scénario. Philippe Valette (précédemment primé pour l’album « Jean Doux et le mystère de la disquette molle ») a dessiné le parcours depuis Damas, et Samuel Figuière, à la bibliographie déjà impressionnante, celui depuis Gabé. Les récits s’alternent, rythmés par des doubles pages explicatives, réunissant pas moins de 6 auteurs experts, l’équipe Arreco. La couverture, où l’espoir se mêle à la tristesse et à la misère, donne le ton.
Nahja et Hiba sont une mère et sa petite fille, fuyant la guerre et cherchant à se réunir avec le père, arrivé plus tôt en France. Demba et Djibril quittent la misère et la répression contre les revendications sociales des Peuls. Si les motifs de départs sont nombreux, le danger du parcours est toujours présent. Des passeurs criminels abandonnent des groupes sur des navires percés, ou en plein désert, sans eau, quand ils n’abattent pas carrément leurs victimes. La traversée de la Méditerranée est une souffrance sans nom alors que la plupart des personnes tentant la traversée ne savent pas nager. L’Union Européenne et les États veulent contrôler leurs frontières, quitte à procéder à un tri très sévère ramenant de nombreuses personnes à la mort. L’attente est interminable, dans des conditions inhumaines. Ou alors certains tentent la traversée des Alpes, éprouvante. Sans parler du passage vers l’Angleterre. Et puis la guerre en Ukraine a créé des inégalités de traitement, qui interrogent. Suis-je moins Humain si j’ai la peau noire, ou si je ne suis pas catholique ? N’ai-je pas les mêmes droits ? Ma guerre est-elle moins inhumaine qu’une autre ? Quelle est la valeur de ma vie ? Les soutiens sont rares, mais précieux, des volontaires aux professionnels, de l’entraide au sacrifice.
Le documentaire décrypte des chiffres trop souvent manipulés, rappelle les faits historiques, les obligations – de porter secours, de protéger les droits fondamentaux. Il détaille la complexité, la lenteur et l’incertitude des démarches administratives, quand les États gardent un pouvoir arbitraire de refuser des visas aux demandeurs d’asile. Le sujet est approfondi de façon claire, illustrée, cartographiée.
Les dessinateurs suivent le même schéma, il fonctionne bien pour aborder ce sujet actuel et délicat : traits réalistes et détaillés, qualité de l’encrage, pages rehaussées dans des tons monochromes affirmant une ambiance et donnant une unité à l’ouvrage, plans travaillés pour zoomer sur les visages angoissés ou décrire une scène dans son ensemble. Les contributions de chaque illustrateur se marient ensemble, avec des nuances subtiles. Des traits un peu plus rugueux collent au parcours plus difficile pour les Guinéens, ceux un peu plus lisses correspondent aux personnages féminins, visage maternel donnant sa force et sa tendresse à sa fille et masquant la peur et la fatigue. Les titres des chapitres sont soulignés de barbelés, rappelant l’enfermement des innocents.
Encore un ouvrage sur les migrants, direz-vous ? Oui, et c’est indispensable. Pour que la vérité soit connue, diffusée ; pour ne pas oublier, pour continuer à se battre pour les Droits de l’Homme, pour la dignité de chacun. Pour découvrir le sujet à travers les cases dessinées et aller plus loin grâce aux explications détaillées. Se mettre à la place de ces hommes, femmes, enfants, car nous pourrions être nés là-bas ; et n’avoir pas d’autre choix que de venir ici pour ne pas mourir. Se rappeler que nous sommes tous frères, et garder notre humanité.
Chronique de Mélanie Huguet-Friedel.


© Petit à Petit, 2022.
Il n’y aura jamais trop de livres sur ce sujet et cette bd semble bien intéressante !
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