Sandman – Nightmare Country T1

Pour répondre à ma très estimée consœur et âme sœur de compo Nathalie, moi je n’éprouve pas une attirance particulière pour les hommes à l’allure barbare. A la différence, je préfère nettement me faire peur. Avec la parution de Sandman – Nightmare Country aux éditions Urban Comics, James Tynion IV en compagnie du dessinateur Lisandro Estherren et du coloriste Patricio Delpeche revisite l’univers bâti par l’immense Neil Gaiman. Les reliures partent en poussière, les pires créations du dieu Morphée n’ont pas fini de me dresser les poils sur les bras. 

Madison Flynn est une artiste, ce qui sous-entend qu’elle possède une personnalité originale. Comme bon nombre de gens, elle dort du sommeil du juste. Pourtant dès son jeune âge, Madison n’a aucun souvenir de ses virées nocturnes au pays fictif.

Pourtant lorsqu’elle peint, ses toiles représentent systématiquement un drôle de personnage d’apparence obèse avec des bouches à la place des yeux. Serait-ce la représentation de son mal-être ? Toujours est-il que la créature ne la hante pas dès que Flynn s’endort. Elle se matérialise dans sa vie quotidienne comme par exemple le matin au réveil, sous la douche, dans le métro où en soirée avec des amis. La dépression nerveuse guette la jeune-femme, elle ne fait plus aucune distinction entre réalité tangible et hallucinatoire.

Lors d’une exposition, Madison va croiser la plus épouvantable invention du marchand de sable sans le savoir. Il s’agit du monstrueux Corinthien, qui n’hésitera pas à venir engager la conversation. Il l’embarquera à destination d’un  road-movie gore et jubilatoire à bord duquel la destinée, le rêve, le désir, le délire, le désespoir, la destruction et la mort l’attendent au carrefour de l’existence. Les cauchemars débarquent sur Terre afin de pourchasser les non-rêveurs et perpétrer un carnage.

James Tynion IV aurait-il rendu visite à sa muse de grenier ? C’est à n’en point douter !Il succède à Simon Spurrier et Gwendolyn Willow Wilson en s’attaquant au mythe du neuvième art. L’auteur se devait d’être inventif et ambitieux, de faire aussi bien voire de dépasser le démiurge originel. Il retrousse ses manches et s’atèle à la rédaction d’épisodes audacieux. Sandman offre un magnifique terrain de jeu pour peu que le repreneur soit inspiré, le pari est réussi concernant Nightmare Country puisque rien n’est impossible au domaine de la chimère. Cette œuvre littéraire puise ses racines dans le folklore et les contes venus de toute part. Le scénariste impose une vision particulièrement noire matinée d’horreur surréaliste et insoutenable. Les protagonistes évoluent à l’intérieur d’un monde passionnant, vivant et effrayant. James Tynion véhicule les émotions grâce à une parfaite retranscription de la personnification poussée des intervenants, qu’ils soient animés par des sentiments humains où inhumains. Le récit équilibré s’élève au niveau de la réussite fantasmagorique, un endroit où la créativité ne demande qu’à être explorée au travers d’idées complètement folles. L’horreur et la comédie cohabitent sur une même page, le bédéiste bâtit un univers à la tonalité fertile et insidieuse. Il réalise un travail dantesque, l’imaginaire se met à nu.

Les Argentins Lisandro Estherren et Patricio Delpeche bousculent la mise en page à l’aide d’un dessin schématique, expressif et d’une colorisation à l’aquarelle. Ils représentent l’alliance parfaite entre le figuratif et l’abstrait. Le crayonné s’applique de façon minimaliste, le tracé est épuré au possible. L’esquisse se déploie par l’usage d’une anatomie un poil réaliste, de formes primaires et de perspectives à la fois simplistes et élaborées. L’encrage épouse la ligne grâce à la mine fine, le contraste bat son plein. Les nuances se noient dans le croquis et la profondeur des décors en conservant une haute teneur picturale. Patricio Delpeche utilise le procédé de la brosse à dent pour enluminer certains éléments, ce style apporte une touche de sophistication et peut donner un aspect poussiéreux aux planches. La combinaison de ces techniques harmonieuses accouche d’une plastique renversante tel un ovni artistique illusoire et pénétrant tant inspiré du grand bouleversement graphique amorcé par Bill Sienkiewicz. Voici la démonstration d’une remarquable utilisation de l’encre de chine et de la peinture à l’eau.

Les séquences additionnelles sont produites par Yanick Paquette, Andrea Sorretino, Francesco Francavilla, Dani, Aaron Campbell, Maria Llovet, Nathan Fairbairn, Jordie Bellaire et Tamra Bonvillain. Les invités apportent une mixité intéressante et un grain de folie douce à l’ensemble. Quant aux couvertures de Francesco Mattina, elles sont aussi splendides que dérangeantes.

En conclusion,  je citerai l’ami Baudelaire. «Tout cela ne vaut pas le venin qui découle de tes yeux, de tes yeux verts, lacs où mon âme tremble et se voit à l’envers…Mes songes viennent en foule
pour se désaltérer à ces gouffres amers».

Chronique de Vincent Lapalus.

© Urban Comics, 2023.

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