Les vilains ne sont pas comme leurs ennemis, ils ne possèdent pas de QG pour s’auto-congratuler de leurs louables actions de la journée. Ils squattent des troquets peu recommandables à ruminer leurs échecs et se torcher la gueule pour oublier les déculottées affligées par les bons samaritains de service. Rogues de Joshua Williamson, Leomacs, Matheus Lopes et Jason Wordie aux éditions Urban Comics brosse la routine de merde vécue par des débris de la société.
Leonard Snart alias Captain Cold fut un temps le méchant qui fit trembler Flash et Central City, il a décidé de tourner le dos à sa carrière de criminel afin de suivre un programme de réhabilitation. Snart a décroché un job alimentaire dans une entreprise de cartonnage. «Oui chef, bien chef, à vos ordres chef !» sont devenus son nouveau cri de ralliement. Son boss va même lui filer une promotion suivie d’une petite augmentation en remerciement de ses loyaux services.
Sauf que dans son for intérieur, Leonard n’en a rien à foutre de ces conneries. Ras le cul de se montrer sous son meilleur jour, il en a assez de subir les vannes à deux balles de son patron et de ses collègues. Il désire retrouver l’excitation et le grand frisson du casse subtilement orchestré. On peut dire que Cold a décroché le jackpot que distribue la F.I.L. (Fédération Internationale de la Lose).
Il décide de se reprendre en main et dès la tombée de la nuit, Snart rejoint la Taverne et ses anciens complices car une idée de génie lui a traversé l’esprit. Il embringue sa frangine Lisa (Golden Glider), James Jesse (Le Charlatan), Ben Turner (Bronze Tiger), Frances Kane (Magenta), Mick Rory ( Heat Wave) et Evan McCulloch (Le Maître des Miroirs). Ensemble, ils échafaudent un braquage susceptible de leur permettre de se dorer la pilule au soleil jusqu’à la fin de leurs jours.
L’objectif consiste à dérober la réserve d’or de Gorilla City en Buredunie appartenant à Gorilla Grodd. Si le coup foire, c’est la mort assurée. Nos sept salopards vont se frotter à du costaud. Il faut signaler que le roi des singes est un véritable bulldozer télépathe. Un coup de crasse et il ne fait pas de prisonnier. Chacun risque de finir avec la tête broyée ou pire, déchiqueté. Alors forcément, il y a fort à parier que le plan ne va pas se dérouler sans accro pour nos escrocs.
Joshua Williamson franchit la barrière. Il plante le décor et met en scène la mauvaise graine, la vraie, dans une œuvre «légère» au ton désinvolte. Les protagonistes dotés de pouvoirs issus des bas-fonds règlent leurs comptes à l’aide de leurs poings, instruments tranchants et autres gadgets de leur crû. Le lecteur a droit à 216 pages où règne la loi du Talion, «Œil pour œil, dent pour dent». Le récit héroïque au premier abord fleure le roman à suspense à plein nez. L’auteur en profite pour approfondir le thème du crime organisé, le terreau mafieux, l’urbanisme bizarre et douteux. Williamson met en lumière un univers jonché de personnages sombres à la psychologie torturée ayant un sérieux penchant pour l’alcool et la baston. Cette intrigue solide dans le sordide ne laisse pas de glace, l’action y tient une place prépondérante. La violence fulgurante se manifeste recto-verso, l’humour noir accompagne harmonieusement des dialogues cinglants. En bref, la mécanique scénaristique est bien huilée.
Leomacs réalise un travail graphique exemplaire. Son style classique au trait humoristique produit l’effet escompté, les planches provoquent des palpitations frénétiques. Le gaufrier de 4 à 7 cases est teigneux, les pleines pages frappent fort. Le grand format favorise un découpage panoramique afin de mieux laisser parler le crayon et l’encre de chine. Les onomatopées intègrent le dessin, le séquençage est assassin. Le trait musclé attire l’attention, l’esthétique gagne en séduction. L’encrage escorte la garniture illustrative, il s’applique de manière condensée. Le passage au noir dégage un aspect mesuré, parfumé et élégant. La palette chromatique employée par Matheus Lopes et Jason Wordie s’invite avec plaisir et renforce une atmosphère tapageuse. Elle capte le regard à l’aide de teintes rugissantes, colorées, tamisées et logiquement très équilibrées. La pigmentation est tirée au cordeau. Il s’ensuit une déflagration nuancée, la colorisation arrache l’asphalte.
En conclusion, la lecture de Rogues exprime le plaisir coupable de traîner dans les bars pour y rencontrer le fameux gang des Lascars. Ces indécrottables charognards n’hésitent jamais à jouer des tours de Trafalgar au premier tocard pour une poignée de dollars. Les fauves se lâchent !
Chronique de Vincent Lapalus.

© Urban Comics, 2023.