Léo en petits morceaux

Les récits du vécu des femmes françaises durant la Seconde Guerre mondiale ne sont pas très nombreux. Plus rares encore sont ceux qui s’attardent sur les femmes qui ont pu, tout en affichant une résistance à l’ennemi, avoir un faible pour un jeune homme allemand… D’une jolie écriture faite de pleins et déliés, Mayana Itoïz, dessinatrice de Le loup en slip , signe ici son premier roman graphique en solo. Elle nous déroule des tranches de la vie de sa grand-mère Léo, femme libre et pleine de vie. Avec Léo en petits morceaux, Dargaud propose une très belle édition, d’une grande sensibilité, perceptible dès la couverture où bleu clair et rose saumon s’associent pour signifier un manque, et au fil des vingt chapitres, introduits par des calques reproduisant des morceaux de photos déchirées. 

Léo est une jeune femme française qui travaille dans une auberge du Pays-Basque réquisitionnée pendant la Seconde Guerre mondiale par un régiment allemand. Derrière son apparente désinvolture, Léo cache plusieurs secrets. Elle est éperdument amoureuse de Félix, soldat allemand qu’elle décrit comme différent des autres. Si des rumeurs courent sur ce point, on ne soupçonne pas le réseau de résistance qui s’active derrière ses pitreries. Pampi, qui a un faible pour Léo, lui sera un ami et un soutien fidèle. On retrouve Léo à plusieurs périodes de sa vie, elle qui est devenue mère, puis grand-mère : 1961, 1965, puis 1992, 1995, 2001, où l’auteure petite-fille intéressée par la transmission des souvenirs de sa grand-mère, se dessine et porte à son tour du saumon…

Le dessin, doux, sans trait noir ni cadre, met en valeur de jolis visages, où rougissent les pommettes de la jeunesse fougueuse. Il sait faire ressortir toute la palette des émotions des personnages, amour, inquiétude, joie, jalousie, peur, abattement… Les couleurs volontairement passées sont rehaussées de différentes nuances de rouge et de rose, faisant ressortir la vitalité, la féminité et le romantisme de Léo. Ses escapades nocturnes sont déclinées dans de subtils jeux de clair-obscur, où bleu-nuit et turquoises trouvent admirablement leur place. La dessinatrice a su nous plonger dans un passé très bien reconstitué, avec quelques traits de craies de couleur ou de fusain apportant rusticité et textures aux choses. Elle nous amène à vélo dans les rues étroites d’une bourgade, en camionnette à la ferme en 1961, avec ces pots de lait d’époque si reconnaissables, à pied dans Bordeaux occupée – forcément plus grise…  Si les pleines pages font la part belle à des parenthèses enchantées, elles laissent parfois la place au drame. 

Le récit revient sur différents épisodes sombres de 42 à 45. Exécutions sommaires, enfermements et déportations, tonsure imposée à certaines femmes en 1945… Des questions plus intimes sont également abordées, comme celles de l’avortement clandestin. Les souvenirs douloureux l’emportent et finissent dans une boîte. Jusqu’à ce que… 

Mais c’est bien l’amour, plus fort que la haine ou la jalousie, qui est au cœur de cet album émouvant. Une belle leçon de vie et de fraternité, tout en finesse. À lire et partager. Bonne chance à l’auteure, la BD étant sélectionnée pour le prix Ellipses (médiathèque bulle de Mazé). 

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.

© Dargaud, 2023.

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  1. Matatoune dit :

    Il me plaît bien, celui-la ! Je le note 😉

    J’aime

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