ANNA POLITKOVSKAÏA JOURNALISTE DISSIDENTE

Je suis Charlie. Je suis Anna Politkovskaïa. Je suis les journalistes qui défendent coûte que coûte les droits humains. Ce qui se passe en Ukraine, depuis bientôt un an, est d’une violence sans nom. Mais cela ne doit pas être une surprise. Car la guerre en Ukraine n’est que le prolongement de la politique menée depuis plus de 20 ans par Poutine, notamment en Tchétchénie. Heureusement, des femmes et des hommes continuent de s’y opposer, des journalistes de témoigner. Ils honorent la mémoire d’Anna Politkovskaïa, « la journaliste qui défia Poutine ». Et c’est aussi le rôle de la bande dessinée écrite par les auteurs Francesco Matteuzzi et Elisabetta Benfatto, en 2010, que Steinkis a eu la bonne idée et le mérite de rééditer en français en 2022, pour faire connaître le combat d’Anna. Et pour tous les journalistes qui choisissent de faire encore ce métier. Dessins noir et blanc – traduisant la tension dramatique – et couverture rouge danger donnent le ton…

Qualifiée de journaliste « non rééducable » par le pouvoir en place, Anna Politkovskaïa est menacée de mort quotidiennement. Chaque semaine, elle subit des heures d’interrogatoires. Les personnes qui l’appellent pour témoigner ne tardent malheureusement pas à être éliminées. Une femme ayant son physique est tuée devant chez elle. Cela met les nerfs de la journaliste à rude épreuve. Mais ce qu’elle rédige et fait publier est important : ses articles sur Poutine, ses enquêtes sur la Tchétchénie. C’est même pour cela que les terroristes ont pris contact avec elle pour négocier lors de la prise d’otages du théâtre de la Doubrovka (à Moscou), en octobre 2002. Mais les forces spéciales russes font irruption dans le théâtre, et introduisent un agent chimique dans le système de ventilation. Tout le monde est empoisonné, les terroristes et près de 800 captifs. Il y a aura plus de 150 victimes et plus de 600 blessés. Anna découvrira un agent infiltré, seul survivant des terroristes, chargé de mettre au point la politique russe en Tchétchénie pour gérer l’après Doubrovka. Six mois après son interview, il perdra la vie dans un accident de voiture. « Parce que cela fonctionne ainsi… Si vous parlez, si vous révélez des faits que le régime veut dissimuler, vous êtes morts. »

Et l’histoire se répète, mais en pire, avec la prise d’otages de la plus grande école de Belsan, le jour de la rentrée de 2004, avec les parents présents dans l’école. Anna saute dans un avion, mais y est empoisonnée. Elle sera sauvée à l’hôpital, mais ses analyses détruites. Au bout de deux jours, les explosifs provoquent un carnage sans précédent, tuant plus de 330 civils. Plus de la moitié étaient des enfants. Anna découvre et écrit que le ministre de l’intérieur russe a eu l’information sur l’attentat avec trois heures d’avance, mais n’a rien fait pour empêcher ce projet funeste… Et que si les forces spéciales n’étaient pas intervenues, le massacre aurait pu être évité, comme à Doubrovka.

Le 7 octobre 2006, jour du 54ème anniversaire de Poutine, Anna est assassinée dans le hall de son immeuble. En 2018, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la Russie pour manquements dans l’enquête sur l’assassinat de notre héroïne, aucun effort n’ayant été fait pour identifier le commanditaire du meurtre… La conclusion est limpide. Les feuilles d’interview prolongeant la partie dessinée permettent d’approfondir les tenants et aboutissants de cette histoire.

La dessinatrice a réservé un traitement à la peinture en noir et blanc, rehaussé de traits fins à l’encre de chine, qui colle à la noirceur de cette histoire. Nous suivons Anna sur le terrain, lorsqu’elle défend avec vigueur ses écrits à la rédaction, lorsqu’elle fait face avec bravoure aux interrogatoires, dans ses moments de doute… L’épisode macabre de Belsan est raconté sous la forme de dessins d’enfants au crayon et à la craie noire, marquant à la fois l’absence de la reporter et l’enfer de ces innocents juvéniles victimes d’une brutalité au bénéfice de la propagande… L’émotion est palpable.

Anna était la 211ème journaliste tuée en Russie depuis la chute de l’URSS ! C’est dire à quel point il est difficile, mais important, de dénoncer le climat de terreur instauré par Poutine, son cynisme, son racisme. De continuer à décrire le lien étroit qu’il a établi entre répression et terrorisme, les meurtres et crimes de guerre qui en découlent. Inondez les réseaux sociaux, diffusez largement cet ouvrage coup de poing, d’un grand intérêt. Anna Politkovskaïa, dont la persévérance, le courage et l’ excellence ont été maintes fois primés, mérite autant de partage que les victimes de Charlie. Il en est de même pour toute la chaîne de diffusion de l’information, auteurs, traducteurs, éditeurs……Résistance !

Chronique de Mélanie Huguet-Friedel.

© Steinkis éditions, 2022.

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