Les années 70, Kings Hill est un village de pêcheurs d’environ 600 âmes qui s’étend sur des hectares de collines et forêts à perte de vue. La brume y est omniprésente et pesante, il s’y passe toujours quelque chose d’étrange. Sous ses airs de bourgade campagnarde tranquille, la ville recèle d’énigmes et de secrets. Aucune enquête ne reste sans réponse grâce aux talents conjugués de Lance et Friday, les Holmes et Watson du coin.
Friday Fitzhugh quitte l’université afin de revenir en ville pour les vacances de Noël. Elle a 18 ans, est grande, mince, plutôt musclée et se distingue par sa crinière rousse ondulée. A peine arrivée à destination et descendue du train, le shérif Bixby accompagné de son ex-partenaire Lancelot Jones l’attendent de pied ferme.
Lance est du même âge que notre rouquine incendiaire, pourvu d’un gabarit chétif mais doté d’un brillant intellect. Auparavant, notre duo de détectives en herbe avait monté son propre bureau d’investigations. Ils collaboraient avec les forces de l’ordre. Avant le départ de la miss pour la faculté, leur taux d’élucidation était juste incroyable.
Friday a été frappée par l’émulsion de ses sentiments, de grands bouleversements se sont opérés en elle. Tiraillée entre la raison et la passion, un changement d’air était impératif. Partir fréquenter les bancs de l’enseignement supérieur s’avéra une nécessité.
Sauf que cette fois-ci, la piste les conduit à un lieu de folklore nommé Crescent Rock. En des temps reculés, les femmes qui vivaient dans les bois, venaient sacrifier leurs nouveau-nés sur l’autel des dieux antiques. Ce «don» permettait d’assurer l’arrivée du printemps et d’une nouvelle année d’abondance. Sauf que des siècles plus tard, un habitant perpétue cette tradition païenne ancestrale et macabre.
Qui, pourquoi et comment…les ramifications du dossier de La Dame Blanche réveillent les vieux souvenirs ainsi que les liens si particuliers unissant Friday et Lance. Le suspense est à son comble.
Ed Brubaker revisite le thriller qu’il agrémente cette fois-ci à la sauce littérature jeune adulte. Il concocte une intrigue solide et mijotée aux p’tits oignons dans la pure veine de sa création principalement indépendante. Le récit déroule une construction scénaristique à la fois millimétrée et attractive. L’auteur entre dans le vif du sujet, il aborde la thématique de la fin de l’adolescence tels que les premiers émois, l’intériorité où les questionnements existentiels liés à la maturité sur fond de seventies avec subtilité. Les conflits entre protagonistes prennent une part importante à l’intérieur du synopsis. Le rythme est décompressé et se déploie à l’aide d’un joli numéro d’équilibriste. La gestion des flashbacks, les dialogues succincts et les vignettes de pensées ciselées hissent l’ouvrage à un haut niveau de qualité. C’est droit, carré limite implacable. Brubaker à travers sa narration, sait restituer une époque précise et démontre sa maîtrise de ce pan culturel entier. Le lecteur se projette dans le passé, il baigne dans une atmosphère idéalisée voire fantasmée propre au genre.
Marcos Martin change complètement de style avec Friday, le catalan propose un crayonné plus «relâche», en rupture graphique par rapport à The Private Eye et Barrier. Le dessin instinctif prime afin de s’éloigner de la représentation réaliste. Le trait est consciemment distordu et délibérément exagéré, il aboutit à une esthétique rigoureuse épurée. Le visuel se déploie avec simplicité et amplitude. Le découpage est tantôt aéré où serré, les cases s’imbriquent parfaitement les unes aux autres. Marcos Martin possède un don pour raconter une histoire en images à l’aide d’une utilisation intelligente et sensée des lignes même si elles peuvent être parfois inhabituelles. Une patte naturelle transparaît, la mise en scène est judicieuse.
Muntsa Vicente emploie un champ chromatique clair obscur. Les zones de clarté et sombres jouent avec le contraste en apportant un relief intense et de superbes effets de luminosité. Parfois, la coloriste donne l’impression d’éclairer certaines parties de l’album à la lampe torche et aux phares des voitures. Le jaune est absolu, les dérivés de cyan sont ombrageux et le magenta vire au rouge violacé en cas de besoin. La pigmentation ocre, terne, brumeuse se mêle aux nuances primaires, saturées et flashy de la fameuse décennie pop-punk. Ce spectre de teintes compose une synthèse parfaite, les flocons de neige tombent tels de grosses tâches blanches et complètent le tableau. Marcos Martin et Muntsa Vicente sont des admirateurs de la production américaine ainsi qu’un tandem inséparable du neuvième art.
Friday aux éditions Glénat est le polar hivernal de saison, ce titre risque fort de mettre la pression et de vous monter en tension jusqu’à son final infernal et ses retournements de situations. Qu’on se le dise !
Chronique de Vincent Lapalus.

© Glénat, 2023.