Garder ses amis de collège, c’est une grande chance. Mais est-ce que, parfois, cela n’emprisonne pas aussi un peu dans des habitudes d’adolescents ? N’est-ce pas source de malentendus, d’omissions volontaires quand on évolue, pouvant mener à mentir à ses proches ? Adaptation d’une BD publiée initialement en ligne, BFF, pour best friend forever, est moderne et intrigante. Elle a été écrite – en y apportant des touches d’humour précieuses – par Joseph Safieddine et Thomas Cadène, deux auteurs qui avaient déjà collaboré pour la série Les autres gens. Dessinée et mise en couleur par Clément C. Fabre, à la biographie déjà bien remplie (citons par exemple Salade tomate oignon), elle est parue aux éditions Delcourt.
Olivier, pianiste trentenaire, chérit sa bande de potes. Baptiste – qui a un petit côté Barney dans « How I met your mother » et lui sont inséparables. Mais, quand ses amis, à commencer par son BFF, n’ont pas entendu son succès grandissant, persistant dans leurs blagues ritournelles sur son statut d’artiste – libre mais mal payé – Gro, comme le surnomment ses camarades, a décidé de compartimenter sa vie : pseudo, concerts à l’étranger… Ainsi, Olivier a une double vie. Il est devenu un musicien célèbre au plan international, possédant un appartement de standing et un agenda de ministre, géré par une manageuse dynamique et talentueuse. Et il reste, aux yeux de ses amis, un intermittent, habitant une piaule minable (attenante à son appartement) et vivant de petits concerts en maison de retraite. Décalage des discussions entre copains et des codes des mondanités… Quitte à rabrouer le touriste anglais qui reconnaît le musicien « qui lui avait tiré des larmes en 2016 » … Et ce n’est pas le seul secret de ce groupe d’amis hétérogène : tromperies et moqueries participent à donner consistance et rebondissements au récit. Un couple se sépare, Baptiste cache à son tour la perte de son travail, et la demande de Claire, qu’Olivier joue à son mariage, le dérange… Le mal-être des personnages, qui se traduit pour Olivier par une boulimie, va-t-il finir par exploser au grand jour ?
Chaque page est judicieusement déclinée à la tablette graphique en quelques couleurs complémentaires qui donnent le ton. Alternance d’ambiances tour à tour nocturne, estivale, classe, survoltée, ou laissant place à des sentiments plus négatifs… Le dessinateur utilise ainsi toute la gamme de la palette chromatique, rendant l’ensemble de l’album très coloré et contemporain. A l’image de la couverture, le quadrillage assez serré rythme les dialogues qui fusent, parfois sans filtre, et permet de détailler les nuances d’émotions perceptibles sur les visages, les gestes d’affection, les postures, l’enlacement des corps en plan rapproché, l’énergie débordante de la jeunesse… Les jeux d’ombres et de verticalité contribuent à la qualité d’ensemble.
Sur pas moins de 255 pages, les auteurs nous offrent une tranche de vie chez les trentenaires, dans toutes ses composantes : fiestas, travail, apéros, séance chez le psy, appel de la maman, enterrement de vie de garçon – et « b comme… Biture » ! – recherches et hésitations amoureuses, échanges numériques… Ils nous ramènent au besoin d’appartenir à un groupe, de se sentir aimé, soutenu, et à la question de la fidélité. Être fidèle aux autres, à soi-même… Les personnages, entiers, offrent une palette de caractères qui ne laissera pas les lecteurs insensibles ! Aussi, nous souhaitons bonne chance aux auteurs, l’ouvrage étant sélectionné pour le prix Ellipse(s) de La Bulle 2023.
Chronique de Mélanie Huguet Friedel

© Delcourt, 2022.