Le fait d’inventer, d’élaborer et coucher son inspiration sur le papier relève du don naturel chez certains. Les muses se seraient-elles penchées sur le berceau du petit Sean Gordon Murphy ? Assurément ! The Plot Holes d’Urban Comics n’est autre que l’aventure ultime et intérieure avec pour toile de fond la grande chaîne de l’édition.

Cliff Wieselwitz aka Inkslayer est un jeune auteur de bande dessinée. Par un début de journée où son moral est au plus bas, une inconnue vient toquer à sa porte. Il s’agit d’une femme mystérieuse et envoûtante qui se prénomme Ed. Après une discussion avec Cliff, elle l’invite à faire partie des Inco-Errants.

Ce sont des professionnels dans le domaine de la correction, l’amélioration ou l’éradication des mauvaises idées venues de l’esprit des écrivains. L’unité spéciale passe d’un univers fictif à un autre à l’aide d’un marque-page électronique, elle sort les livres du trou noir de l’imaginaire afin de réécrire leurs histoires et les transformer en best-sellers. L’équipe est un mélange improbable de seconds couteaux provenant de genres divers. Ils ne manqueront à personne si les missions se révèlent être un fiasco.

Mais il y a forcément un revers de médaille, ces modifications incessantes transforment les trouvailles abandonnées en un gros ver dévastateur. Le lombric saute de reliure en reliure, ses bonds dimensionnels mettent en échec les Inco-Errants et précipitent les écrits dans le néant. La biographie, les romans, la science-fiction, le neuvième-art etc. sont au bord de l’anéantissement. Cliff et sa clique vont devoir utiliser des artefacts puissants pour vaincre le parasite et sauvegarder ce qui peut l’être.

Sean Gordon Murphy porte la triple casquette de scénariste, dessinateur et encreur sur ce nouveau one-shot. The Plot Holes est une œuvre personnelle, ambitieuse et époustouflante. Le bédéiste utilise le personnage de Cliff comme avatar pour nous projeter dans les coulisses de la création. Cet ensemble d’univers réunis happe le lecteur avec pour seule ambition de divertir et de montrer l’envers du décor. Les protagonistes ne manquent ni de relief et de caractère. L’intrigue déboule de manière implacable allant de découvertes en pistes inédites pour accoucher d’un arc narratif aussi surréaliste qu’ardent. L’auteur nimbe son récit d’inspirations et emprunts à la littérature au sens large. Quelques clins d’œil au cinéma des années quatre-vingt ainsi qu’à ses travaux antérieurs sont parsemés ici et là. Sa vision originale du comic-book se mue soudainement en rêverie foisonnante et stimulante sans filet.

Pour l’illustration, Sean Gordon Murphy nous émerveille. Le prodige de l’image démontre une nouvelle fois sa virtuosité dans l’exercice de la grammaire esthétique et technique. La mélodie graphique joue une partition punk rock (Jesus) tour à tour calme puis frénétique. La mise en scène est peaufinée à l’extrême, le crayonné pointu cannibalise les planches et l’espace. Le design déploie une plastique élégante, les arrière-plans se travaillent à la ligne fine jusque dans les moindres détails. La profondeur et le champ font front commun pour l’harmonisation tandis que le découpage s’agence sans effort. L’encrage se pose de manière clean, la finesse de style s’affirme et s’améliore sans cesse à chaque chapitre. Matt Hollingsworth et Dave Stewart sont des experts en pigmentation et s’adaptent aux désidératas de Sean Gordon Murphy pour élaborer une colorisation spécifique. Ils appliquent des nuances éblouissantes aux pages qui en mettent plein la vue.

Des croquis, recherches préparatoires et couvertures complètent le volume.

En conclusion, The Plot Holes se perçoit comme un appel vibrant à liberté artistique. Quand la pure conception rime avec distraction et évasion à grand renfort d’action.    

 Chronique de Vincent Lapalus.

© Urban Comics, 2022.