Résistance ! Chaque 22 octobre, se souvenir. Si l’on connaît le destin tragique de Guy Moquet, résistant fusillé dans la fleur de l’âge avant même d’atteindre l’âge adulte, on connaît moins sa vie, les mois d’emprisonnement qu’il a subi et les sentiments qu’il a développé pour une camarade du camp, également enfermée. Gwenaelle Abolivier, qui a longtemps été reporter sur France Inter avant de devenir une autrice féconde, et Eddy Vaccaro, dessinateur ayant précédemment reçu le Prix France Info de la bande dessinée d’actualité et de reportage (pour les racines de la colère), ont choisi de retracer avec beaucoup de justesse la vie de la jeune femme Odette Niles, amoureuse de Guy Moquet, avec La fiancée . Ils ont pu recueillir son témoignage précieux, aussi révoltant qu’historique et nous le font parvenir. Les éditions Soleil, collection Noctambule ont ainsi signé un roman graphique où l’engagement et la qualité d’ensemble sont à souligner.

La vie du camp de Chateaubriand occupe une place centrale de la bande dessinée. L’énergie déployée pour organiser un quotidien collectif fidèle aux valeurs défendues par les détenus est frappante. Les intellectuels donnent des cours aux jeunes, aux ouvriers. Chacun tente d’améliorer le quotidien, de la cueillette de fruits au partage des colis. Le soir, des livres sont lus à voix hautes. Des fêtes sont organisées.

Le récit est forcément très émouvant. Certains comme Guy et Odette sont si jeunes… Face aux restrictions et décisions arbitraires, à l’implication française dans les camps d’internement, l’injustice nous prend aux tripes. Les droits fondamentaux, à un procès, à une peine proportionnée, à l’intégrité physique, à la visite de la famille, sont piétinés. Les citoyens du camp, devenus otages, subissent coups, menaces, censures, couvre-feu, faim, froid. Mais leur force réside dans leur grande solidarité. Leur détermination et leur courage finissent par arracher des larmes aux gendarmes français.

Le 22 octobre 1941, Guy, âgé de 17 ans et demi, est fusillé, aux côtés d’un député, et de 25 autres héros français, sans même avoir eu le temps de laisser s’envoler le baiser promis par sa bien-aimée. L’album s’achève sur une dernière lettre, contenue dans une enveloppe et fidèle dans la forme comme dans le fond, qui ne peut laisser personne indifférent.

Eddy Vaccaro décline en aquarelles et nuances de sépia cette page d’histoire. Les remerciements mettent en lumière l’important travail de recherche et de reconstitution historique. Les graphismes traduisent la vétusté des lieux, terre à nue, simple bardage en bois des baraquements, la dureté de cette vie entourée de miradors et barbelés. Les plans, rapprochés, correspondent au cadre contraint et confiné des événements ; mais mettent aussi en avant les sourires et la vie qui continue, malgré tout. Le dessin reste simple, permettant de se concentrer sur le récit et les dialogue, et nous rappelant également qu’il s’agit de souvenirs de l’enfance. Le lecteur est happé, case après case, pour être aux côtés d’Odette, de ses actions politiques si modestes au regard des épreuves qu’elle doit affronter.

Les événements de 2022 donnent une tonalité particulière au récit. On pense aux ukrainiens mais aussi aux résistants et opposants russes opprimés. Persécutés. Massacrés. Odette dévoile également comment les femmes militantes ont vécu cette période glaçante, entre peur, ignorance, méfiance, mais surtout entraide et grande camaraderie. L’ouvrage, qui se lit d’une traite, contribue à partager, par sa portée pédagogique, une mémoire collective auprès du grand public. Soyons digne, afin de respecter la dernière requête de Guy Moquet. Et chérissons ceux qu’on aime.

Mélanie Huguet – Friedel