- « Ces hommes blancs sont fous.
- Une petite nuance, si tu me permets…
- Ils sont devenus fous. »
Méridien. Ce roman graphique grand format offre une alliance prometteuse : une esthétique de haut vol et un scenario qui nous embarque pour une expédition scientifique en Équateur, au siècle des lumières. Cette fiction, inspirée de faits réels, a été brillamment écrite par Arnaud Le Gouëfflec, auteur prolifique et chroniqueur de La Revue Dessinée. Briac, dont l’univers est unique et le travail reconnu, a donné vie aux dessins et couleurs. Philippe Marlu a apporté un lettrage gracile, évoquant l’écriture à la plume, et déclinant une gamme d’intonations allant de poétiques à angoissées. Un cahier documentaire et graphique très complet de 8 pages, réalisé par Perrine Michon, maître de conférence, universitaire, est inséré en fin d’album. Il assemble cartes, planches encyclopédiques, portraits historiques, croquis préparatoires, textes explicatifs. Et c’est à Locus Solus, maison d’édition indépendante, que l’on doit cette belle parution – le travail d’une équipe bretonne aguerrie !
Le groupe de savants frappe par son hétéroclisme, de l’ambitieux géographe La Condamine à Bouguer, mathématicien rigoriste, en passant par Godin, l’astronome épicurien, mais aussi Jussieu, l’incorruptible médecin et herboriste… Le danger viendra-t-il de la géographie sauvage et inaccessible du Pérou, des âmes de chacun, tourmentées dans cet environnement différent et hostile, ou de la rébellion locale ? Le groupe parviendra-t-il à travailler en équipe afin d’accomplir sa mission, mesurer la longueur et l’amplitude d’un arc méridien, et à le faire avant l’expédition concurrente de Maupertuis partie au pôle Nord ? Nous nous mettons dans la peau des personnages à tour de rôle. L’écriture, recherchée, alterne récits, extraits de journal, forme épistolaire pour mieux nous communiquer toutes les péripéties de ce voyage au long court et les ressentis de chacun. Elle nous dévoile les jeux de rôles, les ambitions cachées, les déceptions… Le langage noble contraste avec les dérives des actes. La quête scientifique devient un labyrinthe d’obstacles, où les scientifiques sont emportés dans les méandres de leurs travers ou de l’aventure, sous le regard d’oiseaux doués de parole et apparaissant soudain plus intelligent que ces humains perdus.
Une profonde palette de couleurs et de lumière se décline de planche en planche, traduisant l’ambiance exotique. A chaque page ses tonalités profondes et vibrantes. Les fonds sont structurés, composés de fines rayures, comme peintes sur du bois vieilli, donnant un caractère unique à l’ouvrage. Les traits noirs, fins, sont volontairement répétés, enveloppant les dessins en de fantomatiques silhouettes surgissant du passé. Les costumes, perruques et l’épais maquillage blanc contribuent au surréalisme de ces penseurs en prise avec la maladie, le climat, les montagnes… Et aussi les jolies femmes. Au contact des Indiens, ils découvrent une autre approche de la nature, tout aussi savante mais plus connectée, plus lumineuse.
Méridien nous offre un voyage très dépaysant et immersif, nous transportant à l’autre bout du monde et à une autre époque. La morale de cette satire, qui rappelle combien sont petits ceux qui se croient supérieurs, est un message d’actualité, les extrêmes n’étant jamais loin. Elle appelle à rester humble, face à la grandeur de la nature, à chérir la diversité… Et l’art en BD !
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel


© Éditions Locus Solus, 2022.