Dès la couverture d’ Au nom du pain , roman graphique paru aux éditions Glénat, la tension est à son paroxysme. Au milieu d’une salle lumineuse et d’une foule de nazis en uniforme, une serveuse au visage fermé tient une corbeille de pain… Ensanglantée. Quel affreux drame se joue là ? Ce tome 1, haletant, démarre une saga familiale et historique de trente ans. Marcelin est le premier album de la première époque – celle de la Seconde Guerre Mondiale, intitulée « pain noir (1939 – 1944) ». Jean-Charles Gaudin, qui avait déjà réalisé une BD historique située durant la Première Guerre Mondiale avec Un village français s’est attelé au scénario ; Steven Lejeune au dessin, et Roberto Burgazzoli Cabrera à la couleur.
La famille Martineau (Marguerite, la mère, Henri, le père, Marcelin et Monique, leurs enfants jumeaux) déménage à Saint-Jean. L’ouverture de leur boulangerie dans ce nouveau village est la promesse d’une nouvelle vie… Au grand dam de la famille Durand, leurs concurrents directs. Marcelin raconte comment, petit à petit, l’insouciance des premiers temps le quitte avec le départ au front de son père, l’arrivée des Allemands, la pression montante des rationnements, réquisitions, perquisitions, représailles… La solidarité ne suffit pas à rester à l’abri des troubles. Alors que Marguerite ne laisse indifférent ni un réfugié, ni un officier allemand, le jeune Marcelin intègre peu à peu la résistance française sous l’occupation…
Le trait noir est fin ; il fait naître ombres et points donnant leurs textures aux décors. Les couleurs, passées et nuancées, transmettent l’authenticité, du torchis des murs à la lourdeur de nuages sombres. Le dessin est précis, fidèle, immersif. Les noms des commerces, peints à la main, se succèdent dans la traversée du bourg. Les cages remplissent la place centrale lors du marché aux volailles. Dans la boulangerie, le lecteur perçoit presque l’odeur émanant du four, le bruit de la croûte brisée…. Les gestes millimétrés des mains, les regards échangés, les postures soumises ou conquérantes, participent à l’ambiance dramatique qui s’installe progressivement… Jusqu’à ce que la violence s’impose, explosive, sanglante, choquante, et se répande.
L’écriture du scénario, soignée, entre mise en abîme et plongée progressive dans une spirale de plus en plus féroce, se combine à une déclinaison graphique parfaitement exécutée. L’album se lit d’une traite, et laisse étourdi et impatient de connaître la suite. Une série utile pour se souvenir comme pour voir se dérouler sous nos yeux cette fresque tragique. Jusqu’où iront les Martineau au nom du pain ?
Chronique de Mélanie HUGUET-FRIEDEL
