Quand on a des envies de Grand Nord, de promenades en raquettes, d’aurores boréales et de tasses fumantes, difficile de passer à côté de Sermilik, là où naissent les glaces sans être happé par sa couverture… un jeune homme barbu, l’air sportif, thermos à la main, des chiens de traineau et un kayak longiligne, et puis ce mot à la consonnance exotique… Sermilik… et une promesse, « là où naissent les glaces »… Et pourtant, c’est bien autre chose que vous trouverez si vous vous laissez tenter par le travail de Simon Hureau.
Sur plus de deux cents pages éditées par Dargaud, c’est Max que l’auteur nous raconte… Max Audibert, jeune homme occidental, marseillais, exilé volontaire en terre groenlandaise. Max et sa volonté inaltérable de devenir chasseur traditionnel à Tiniteqilaak, quatre vingts habitants, et dont Simon Hureau nous offre un portrait croqué réaliste, de l’école au séchoir à poissons. Max et ses chiens dans le blizzard. Max et son poste d’instituteur au bout de ce monde glacé. Max rejoignant sa cabane peinte en rouge et son congélateur extérieur naturel. Max et ses enfants métis. Max, devenu l’un des rares « inuits blancs » auprès de Sermilik, le plus vaste fjord du sud-est du Groenland. Au fil des pages qui retracent le parcours biographique de Max Audibert, c’est un monde bien plus vaste qui vous gagne. L’auteur alterne les vignettes au dessin riche et très fouillé comme pour la chasse aux phoques ou les travaux de construction de bateau avec des doubles pages où le trait se suffit à lui-même pour passer les émotions. On s’échappe volontiers des cases convenues de la mise en page traditionnelle vers des espaces où le blanc bleuté des paysages de banquise, les ciels rosés et les flashs de couleur des villages se déclinent pour donner épaisseur et profondeur au récit. On entre par les apprentissages et l’histoire de cet homme, qui pourrait être nous, dans un univers à la fois empreint de traditions et de modernité, une histoire d’évolutions et de racines, de découvertes et d’amitiés. On approche une spiritualité particulière où la Nature est reine. Pour autant, Sermilik, là où naissent les glaces n’est pas une ode complaisante à un mode de vie sobre et respectueux, ancré dans une culture séculaire ; c’est davantage le regard plein d’affection d’un homme pour un peuple au style de vie aussi rude qu’intense et dont la langue et les savoirs ancestraux tendent à se diluer dans le monde moderne… il y est donc aussi question de la détresse de la jeunesse inuite en perte de repères avec un des taux de suicide les plus élevés au monde, de l’alcoolisme très répandu, de l’œil avide des grosses puissances sur les ressources naturelles cachées sous la glace et qui donnent du travail en même temps qu’elles défigurent les confins immaculés, du danger des touristes aussi qui s’improvisent explorateurs en débarquant l’appareil photo en bandoulière…
Partie pour un simple trek polaire, c’est un voyage bien plus grand et bien plus riche auquel j’ai participé avec cette lecture, de ces voyages imaginaires qui vous font penser lorsqu’ils se terminent, « un jour, je voudrais vraiment voir ça en vrai… ».
Chronique de Louna Angèle.

© Dargaud, 2022.