Alors que l’assemblée nationale discute un plan d’accélération du développement des énergies renouvelables, que les usines ferment en série à cause du coût énergétique, que la question climatique n’a jamais été aussi prégnante, peut-on, comme Elisabeth Borne, affirmer que « la sobriété, ce n’est pas produire moins » ? Autrement dit, notre modèle économique et la préservation de notre planète sont-ils compatibles ? Anthony Auffret s’attaque à cette épineuse question, dans une bande dessinée haute en couleurs de 152 pages intitulée Le mirage de la croissance verte et parue dans la collection Octopus des éditions Delcourt. Et s’il s’appuie sur la bibliographie incontournable sur le sujet – des rapports du GIEC et de Meadows aux apports du shift project, association visant l’atténuation du changement climatique et la réduction de la dépendance de l’économie aux énergies fossiles – il choisit un traitement résolument humoristique sur le fond comme sur la forme. La double relecture par un docteur en économie, Thimothée Parrique, et par un scientifique spécialisé en environnement et en vulgarisation, est un choix judicieux pour un ouvrage à la fois solide, équilibré et digeste.
29 juin 2020. Arnaud, citoyen français bon chic bon genre, s’enthousiasme du résultat de la conférence citoyenne pour le climat : nous allons adapter notre économie aux enjeux climatiques grâce à l’innovation technologique. C’est alors que débarque Doc. Oui, oui, le Docteur Emmett Brown en personne, de retour vers le futur ! Grâce à ses voyages spatio-temporel, il emmène Arnaud dans un voyage pédagogique afin d’étudier la croissance, ses besoins et ses coûts grandissant, ses limites… Monsieur PIB, qui prend la forme d’un sympathique robot très efficace, est en effet beaucoup trop relié aux émissions de gaz à effet de serre… En plus d’une destruction accélérée du vivant, nos modes de vie conduisent à des inégalités sociales de plus en plus criantes. Heureusement, Arnaud a commandé un nouveau robot remplaçant notre modèle par celui d’une croissance verte, propre, décarbonée. Alors, solution miracle ? Il reste de nombreux défis à relever ! Augmentation des dépenses énergétiques, potentiel de recyclage limité, changement technologique insuffisant et inapproprié, déplacement des problèmes de pollution, impact sous-estimé des services, transfert des coûts, effet rebond… Alors, conclut l’auteur : on s’adapte ou on subit ? Bien-sûr, le temps presse et le défi est immense. Pourtant, un autre avenir que celui de la décroissance subie est possible !
L’auteur adopte un style résolument cartoonesque, évoquant celui de Marion Montaigne et son célèbre Professeur Moustache. Le découpage sans bordure et l’aplat de couleurs unies met en relief les personnages, qui humanisent le récit par leurs nombreuses mimiques alternant optimisme, interrogation, angoisse, alerte… Barils de pétroles, déchets, machines sont également personnifiées, et les situations décrites sont dessinées de façon drôle et extrême, afin de maintenir l’attention du lecteur. Le choix d’un format compact, et d’un gaufrier décliné simplement en 4 à 6 cases, contribue au caractère accessible et dynamique de l’ensemble.
N’en déplaise au gouvernement actuel, il n’est pas possible de faire le tour de la question du dérèglement climatique et des arbitrages politiques à planifier en 30 minutes, même passées avec la remarquable climatologue Valérie Masson-Delmotte. Il vaut mieux s’imprégner petit à petit de la somme des connaissances accumulées, quitte à y revenir sous des formats variés. Le présent ouvrage, qui décortique un certain nombre de notions l’air de rien, constitue ainsi une bonne base de réflexion, et un support écrit pédagogique qui permet de se poser. La bibliographie finale invite à aller plus loin. Sans oublier qu’aux éditions Delcourt, il existe déjà un excellent ouvrage, primé par l’académie française, expliquant finement le phénomène du dérèglement climatique : Saison brune, de Philippe Squarzoni – et que la suite (Saison brune 2.0 – Nos empreintes digitales) est annoncée pour novembre ! De quoi passer l’hiver loin des écrans, dans une sobriété heureuse et éclairée !
Chronique de Mélanie HUGUET-FRIEDEL
