FURIOSO

L’attraction est inévitable. Un jeune et beau héros ténébreux ; un hippogriffe imposant, au regard incisif, braqué sur nous ; des éclairs menaçants zébrant le ciel. Et dès les premières pages, noirceur du récit, qualité du dessin et poésie des mots nous emportent dans cet univers, empreint d’une magie sombre. Le scénariste réunionnais Philippe Pelaez, aussi prolifique qu’inventif, et Laval Ng, auteur mauricien (ayant repris l’incontournable « balade au bout du monde ») ont choisi d’interpréter un célèbre poème médiéval dans une bande dessinée résolument obscure et fantastique, mise en couleur par Tanja Wenisch. Le tome 1, Garalt est revenu, est paru aux éditions Drakoo.

Garalt, jadis le meilleur chevalier du monde, fut tué par Roland, le neveu du roi. Par quelle magie noire peut-il revenir d’entre les morts ? Est-il au service d’Agramant, empereur à la tête de l’armée des Morts ? Ou poursuit-il son propre dessein, cherchant à reprendre contact avec Bradamante, invincible guerrière qui lui donna un fils ? La narration reprend les codes d’une épopée médiévale, des combats qui font rage aux personnages dévoilés au fil des pages : la fée Alyna, la jolie écuyère Sibly, le chef d’armée sanguinaire… Amour d’Alyna, jalousie de sa sœur Morgane, déni de Bradamante qui ne peut imaginer Garalt ressuscité, folie de Roland… Les émotions s’entrechoquent et les destins s’entremêlent.

Derrière cette intrigue originale se trouvent deux poèmes, chefs d’œuvre du XVIe siècle : Roland amoureux et Roland furieux, des poètes italiens Boiardo et l’Arioste. Le monde imaginaire décuple l’univers de Roland dont il s’inspire : arènes monstrueuses et leur trône baroque, ptérodactyles fondant du ciel, effrayantes créatures marines, homme-dragon, trolls, banshee se succèdent dans un rythme rapide et haletant. La professeure Théa Picquet, spécialiste de littérature de la Renaissance, conclut l’ouvrage par une analyse de cette réécriture, illustrée de généreuses esquisses.

Le dessinateur a su créer une atmosphère adaptée, par son trait noir, dense, parfois griffonné comme avec rage, mais en même temps travaillé, avec jeux de clair-obscur et détails saisissants de réalisme. Les ombres s’étalent en aplats noirs, jusqu’à faire apparaître certaines cases comme en négatif. Le découpage dynamique permet des incursions hors du cadre, qui viennent renforcer le dessin et augmenter sa présence. Incroyables bandeaux horizontaux étalés sur deux pages, fourmillants de personnages et décors. Contraste remarquable des planches dorées des arènes aux marais les plus glauques. Intensité des regards. Les tenues, épiques offrent une déclinaison d’armures, robes, capes… L’auteur se joue des éléments et nuances de couleurs : souches et racines végétales grimpant ou rampant, armes métalliques entrechoquées, eaux mystérieuses, brume envoûtante, clair de lune inquiétant… Les personnages évoluent de manière spectaculaire, se transforment, se disloquent, sont happés par des forces maléfiques.

Qu’on choisisse de le lire d’une traite ou de revenir observer les détails graphiques remarquables, cet album allie une force du dessin et un vocabulaire littéraire qui ne peuvent laisser indifférents. « Dites-moi la nuit et son cortège de solitudes. Lorsque les ténèbres rendent le regard et les sens inutiles, dites-moi les plaintes qui la déchirent, et la longue mélopée de ceux qui chantent les armes et l’amour. ». Évasion garantie.

Chronique de Mélanie Huguet-Friedel

©Drakoo, 2022, Philippe Pelaez et Laval Ng

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