Lone Wolf and Cub (Trad.Loup Solitaire Et Son Petit) est au manga ce que le film Les Sept Samouraïs est au cinéma épique japonais : un incontournable …
Ecrit par Kazuo Koike (également auteur du subversif Lady Snowblood) et dessiné par Goseki Kojima entre 1970 et 1976, il a été initialement publié dans la revue Weekly Manga Action puis adapté au cinéma sous la forme d’une série intitulée Baby Cart (Trad. Le landau).
Panini l’avait édité dans son format manga original au début des années 2000 (avec des couvertures de F. Miller !) mais on ne trouve désormais cette version que sur le marché de l’occasion. Heureusement, l’éditeur transalpin nous gratifie d’une réédition, et pas n’importe laquelle ! Une édition « prestige » au format 18 x 25, avec une couverture cartonnée rigide et une impression de qualité à la hauteur de ce monumental manga « old school » ! Chaque volume regroupe plusieurs tomes de la série initiale et contient 700 pages … avec donc un poids conséquent. L’éditeur a prévu 12 volumes. Envisagez donc des étagères adaptées si vous comptez aller au bout de la série. Pour l’instant sont disponibles les trois premiers volumes, le quatrième devant sortir mi-septembre.
Le manga est structuré en chapitres qui peuvent être relativement indépendants mais avec toujours l’intrigue initiale comme fil conducteur. Et là, on est vraiment dans l’épique et le shakespearien ! Jugez plutôt …
Au XVIIème siècle, le clan Tokugawa dirige le Japon d’une main de fer avec à sa tête le Shogun. Ogami Ittô en est le Kogi Kaishakunin, c’est-à-dire le bourreau chargé de porter le coup de grâce aux Daimyos (grands seigneurs) lors des seppukus (suicides rituels). Contrairement à nos bourreaux occidentaux, c’est une fonction publique de prestige, car elle confère l’honneur de porter les armes du Shogun afin d’en être le symbole.
Le clan Yagyû, qui convoite l’emblématique fonction, parvient à discréditer et massacrer le clan d’Ogami Ittô à l’exception de son fils Daigoro. Sommé d’accomplir le suicide rituel, notre héros s’y refuse et décide de s’échapper avec son garçon pour devenir un rônin (un samouraï errant). Il choisit donc « la voie de l’assassin » et arpente les chemins et routes du Japon, son fils dans un landau, un drapeau accroché proposant ses services : « Sabre à louer, enfant à louer ». Mais le clan Yagyû est sur ses traces…
La particularité de la langue japonaise permet un jeu de mot qui va donner son titre à la série : Ogami est très proche de Ôkami qui signifie loup et Ittô est très proche de itto qui signifie un seul sabre (les samouraïs de l’époque en portaient toujours deux, un long et un court) …
Au cours de leurs pérégrinations, le Loup Solitaire et Son Petit vont croiser toutes sortes de personnages et de situations. Taciturne et d’apparence froide, Ogami Ittô n’est pas cynique. S’il a emprunté une voie maudite, il n’a pas perdu les repères du bien et du mal, ce qui en fait un personnage très attachant. L’assassin se révèle souvent proche du justicier.
Ce captivant scénario est servi par les magnifiques dessins de Goseki Kojima. Amateurs de mangas dont les personnages ont des nez pointus minuscules, des visages triangulaires et des yeux immenses, passez votre chemin. On est ici sur des représentations alliant réalisme et « impressionnisme ». Ce manga reprend le découpage des actions cher au cinéma de sabre japonais de la même époque. Alternent ainsi des temps lents aux traits précis et posés et des scènes d’actions époustouflantes allant jusqu’à une certaine déformation des proportions qu’on aurait tort de prendre pour une absence de maîtrise. Le noir et blanc sert particulièrement la narration et l’on retrouve l’atmosphère des films d’époque. Il est intéressant de noter que dès le deuxième volume, on assiste à une certaine évolution de la mise en images avec des plans larges plus nombreux, parfois sur deux pages, et qui ne sont pas sans rappeler les cadrages des westerns de Sergio Leone. Ainsi cette magnifique scène où le lecteur est légèrement au-dessus du sol, les herbes couchées par le vent au premier plan et, un peu plus loin, deux samouraïs s’observant un long moment avant d’en découdre…
En revanche, le rendu des planches en nuances de gris (souvent en ouverture de chapitres) paraît parfois un peu sombre et confus, sans pour autant rendre la lecture désagréable.
Si cette réédition était très attendue par de nombreux fans déjà au fait de la série, elle est l’occasion pour ceux qui ne la connaissent pas encore (y compris pour ceux qui ne lisent pas de mangas) de se laisser captiver par le récit de Kazuo Koike dans un format qui permettra d’apprécier pleinement la qualité des dessins de Goseki Kojima…
Chronique d’Éric DESCOMBES



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