Cela faisait longtemps que nous n’avions pas partagé un coup de cœur dans la catégorie jeunesse. Tout nous attire dans cette couverture de bande dessinée parue aux éditions de la Gouttière : le titre, doré, envoûtant par ses élégants graphismes végétaux ; le décor forestier où les fleurs élancées et jeunes pousses côtoient de grands conifères au feuillage dense, encadrant un ciel rougeoyant ; au centre, un duo de jeunes personnages inquiets et aussi différents qu’intrigants – lui, à la peau noire, portant un énorme sac ; elle, peau clair et cheveux blanc, un sac de cueillette en bandoulière… Mais que signifient ces multiples petites tâches noires montant depuis les bords inférieurs de l’illustration ? Un mal mystérieux ronge le village d’En-Haut. Les gens deviennent comme… Vides. Cette idée originale, base du scénario fantasy rédigé par David Furtaen, est habilement déclinée par la dessinatrice Pauline Pernette dans Le temps des ombres.
Avec ce tome 1 intitulé Le dernier printemps, les auteurs prennent les enfants au sérieux. Ils leurs permettent de s’identifier à nos deux héros. Courageux et indépendants, ils sont prêts à faire des kilomètres pour collecter les plantes nécessaires à leurs remèdes et à affronter des événements bouleversants. Mycène, herboriste, habite le village d’en haut, dont les maisons végétalisées s’intègrent dans une colline ; Roch, alchimiste, est celui du village d’en bas, petite cité radieuse et élancée aux vitraux chatoyants. Face aux étranges maux qui se développent, ils laissent, bon gré mal gré, leurs différents de côté pour tenter de trouver une solution afin de sauver les villageois. Pourront-ils trouver de l’aide auprès de l’Ancien, des Kayayas ou de l’arbre sacré ?
Les dessins, simples et originaux, bénéficient de la double formation en BD et animation de Pauline Pernette. Elle les imprègne de tendresse et douceur, en privilégiant le brun au noir pour ses traits, en arrondissant les angles et en ôtant le cadre de ses cases, déclinées dans des tons naturels. La palette de couleurs, appliquée avec finesse, et la déclinaison d’un univers médiéval-fantastique aux vastes contrées sauvages participent à la qualité de la lecture et aux ambiances. Les ombres s’épaississent en forêt, le ciel se voile au coucher du soleil… La chevelure incroyable de Mycène, d’une blancheur immaculée, laisse au fil des cases se dérouler un tracé dynamique, ondulant comme un ruisseau et nous invitant à la suivre dans son parcours haletant. La maladie prend une forme sombre, vaporeuse, salissant l’espace de ses fines projections, donnant aux victimes des apparences inquiétantes, tout en restant adaptées et compréhensibles pour un public enfantin.
Le récit exprime, avec beaucoup d’humour, des valeurs universelles : entraide, amitié, détermination… On pense à l’excellent film d’animation Pachamama, d’autant plus que certains éléments graphiques sont d’inspiration amérindienne (vêtements et bijoux des villageois…).
Il faut encourager ces jeunes talents, remercier le fruit du hasard qui les a fait se connaître (il a enregistré des jeux de rôles, elle les a écoutés), saluer l’aboutissement d’un an de travail réalisé malgré les restrictions de déplacement liées à la période. Si les petits curieux prendront plaisir à lire seuls cet album dès 8 ans, il est également possible de le lire à son petit loup à partir de 5-7 ans selon la sensibilité de chacun ; c’est donc vraiment un livre tout public, qui plaira aussi aux adultes ! Alors que la fin de l’album se termine sur des secrets non-dits, une longue quête à entreprendre et des ombres qui n’ont pas encore été dévoilées, le plus dur va être d’attendre les 3 tomes à venir !
Chronique de Mélanie HUGUET-FRIEDEL.

© Éditions de La Gouttière, 2022.