Il n’est pas évident de mener de front sa vie personnelle et sa carrière de surhomme lorsque l’on devient une personnalité publique. Adam Strange risque d’en faire la douloureuse expérience sous la supervision de Tom King, Mitch Gerads et Evan «Doc» Shaner dans Strange Adventures aux éditions Urban Comics.
Un récapitulatif s’impose…
Adam Strange est archéologue. Lors d’une fouille, il fut frappé par un rayon zeta et projeté à 40 000 milliards de kilomètres de chez lui sur Rann, une planète inconnue. Une guerre fait rage avec l’empire malfaisant Pykkt, Strange s’engage à la tête de son nouveau peuple d’adoption dans la résistance. Il rencontra Alanna et de cette union naquit Aleea. Le leader charismatique remporta la victoire pour Rann en dépit du sacrifice de sa fille. Désormais, la paix règne mais le deuil de son enfant est un tribut trop lourd à porter pour le couple.
Retour de nos jours…
Adam et Alanna vivent sur Terre afin de profiter d’une retraite bien méritée, Strange écrit et publie son autobiographie. Il écoule des centaines de milliers d’exemplaires, c’est un succès. Adam se change en un personnage médiatique important et la Maison Blanche lui déroule le tapis rouge. Les séances de dédicaces se transforment en véritables bains de foule autant qu’en meetings politiques.
Le seul hic, c’est qu’un individu lambda remet en cause ouvertement la parole de l’auteur. Un fan filme l’altercation avec son téléphone portable. La vidéo devient virale. Elle se propage à la vitesse de la lumière et l’illustre inconnu a la désagréable idée de mourir.
Le premier problème se profile à l’horizon car Strange est pointé du doigt comme suspect numéro un. Son image de héros bien propre sur lui en prend un sérieux coup. Deuxième souci, les Pykkts revanchards débarquent dans notre système solaire et réclament vengeance.
Adam appelle Batman à la rescousse pour mener l’enquête sur ce meurtre, prouver son innocence et redorer son blason aux yeux de la population. Le Chevalier Noir refuse par peur de ne pas être assez objectif au cours de la mission. Dès lors, le plus grand détective de Gotham met le deuxième meilleur fin limier sur l’affaire, il s’agit de Mister Terrific.
Michael Holt de son vrai nom, est un véritable chien de chasse. Il ne lâche rien et va jusqu’au bout quitte à se mettre la communauté des superpouvoirs sur le dos, la Ligue de Justice en tête. Les voyages interspatiaux, les méchants aliens et autres pistolasers ne l’impressionnent nullement. A lui de démêler le vrai du faux afin d’établir le lien de cause à effet entre l’assassinat et la menace que représente l’invasion Pykkt.
Que pouvait-on attendre de la part de Tom King qui est un ex-agent de la C.I.A. reconverti en scénariste ? Qu’il signe un récit digne d’un mystère enveloppé dans une devinette élaborée dans une énigme. L’auteur développe une intrigue homérique en jouant avec la temporalité couvrant sur la totalité de l’album. Les flashbacks et forwards sont parsemés ici et là en compléments du temps présent permettant à King de brouiller les pistes. Il promène le lecteur dans une aventure sidérante, sidérale pour mieux cerner les pensées de Mister Terrific et ses méthodes d’investigation. Nous sommes à la fois captifs, déroutés, agrippés par un scénario imparable et brillamment exécuté. Ce procédé de boucle de feedback ou de rétroaction nous cloue à notre fauteuil en attendant sa tonitruante conclusion.
Mitch Gerads et Evan Shaner se partagent la tâche graphique, les artistes travaillent main dans la main dans un joli numéro d’équilibristes imposant leur art respectif dans chaque case d’une même planche. On ne distingue plus qui fait quoi tellement l’harmonie se mue en un spectacle visuel de toute beauté. Le design classique du comic-book se mélange à la représentation picturale réaliste. La mise en page renvoie tantôt au dynamisme pétant de l’illustré commercial avec ses couleurs électrisantes ou un art figuratif à l’aide de sa palette de pigmentations peinturlurées. Gerads et Shaner optent pour un séquençage majoritairement découpé en trois bandes par gaufrier pour maintenir le suspense. Ils gardent les splashpages ainsi qu’une pagination de cases plus élaborées pour retranscrire les scènes de batailles dantesques et accélérer la narration. Esthétiquement parlant, la fusion se déploie à profusion entre les deux illustrateurs et apporte un dessin astronomique.
Au final, le volumineux one-shot Strange Adventures est un polar cosmique déguisé en titre super-héroïque. L’équipe artistique déjà responsable de Sheriff Of Babylon, Mister Miracle a su prendre un personnage de seconde zone et lui rendre son souffle épique. Alors tous à vos jetpacks et go à l’attaque !
Chronique de Vincent Lapalus.

©Urban Comics, 2022.