Il y a exactement 63 années qui séparent la parution du roman incontournable de l’auteur suisse né à Lausanne, Charles Ferdinand Ramuz et l’adaptation réalisée avec talent par Fabian Menor !
Derborence est la première bande dessinée sortie aux éditions Helvetiq. Tout cela a une consonance bien Helvétique, c’est normal tous les protagonistes que l’on va croiser sont originaires de mon pays « la Suisse ».
La montagne cela peut être beau, grand, fort et parfois mortel ! Antoine, jeune époux, va partir dans quelques jours avec son oncle par alliance Séraphin, rejoindre les hauts plateaux. Laisser derrière lui sa femme Thérèse, ne l’enchante que moyennement. Ils ont tant de choses à vivre. Mais dans les hautes vallées, il y a du travail et le jeune homme ne peut y déroger.
Antoine se languit de sa bien-aimée et ses pensées errent vers d’autres horizons. Séraphin se rend bien compte qu’il n’est pas totalement à son affaire. Son amoureuse, au bas du vallon, a une grande nouvelle à lui annoncer. Elle se réjouit d’avance de son retour pour l’informer, au creux de l’oreiller, qu’il va bientôt devenir papa.
Le soir auprès du feu, les deux hommes se confient et le vieil homme raconte des mythes régionaux. Derborence, les Diablerets, des lieux qui éveillent les esprits aux contes et autres diableries. Mais cette nuit, il y a aussi les bruits étranges qui font trembler les sommets. Des cimes au plateau, tous les villageois ont entendu le fracas assourdissant qui a fait chanceler les monts. Est-ce un orage ? Un éboulement ? Le démon ? Non, la montagne s’est éveillée et elle a déferlé sur les villages en contre-bas, anéantissant tout sur son passage. Les habitants qui vivent plus en aval sont réveillés par la clameur, ils ne comprennent pas ce qui vient d’arriver et retournent se coucher. C’est au crépuscule que tout bascule… Que sont devenus les pères, maris, frères, fils ou oncles ? Est-ce qu’il reste seulement des survivants ? Pour Thérèse et Philomène, la sœur de Séraphin, une longue attente commence, de l’incompréhension et une effroyable tristesse les envahit. La future mère ne peut admettre que son enfant soit orphelin avant même d’avoir vu le jour.
Sept semaines plus tard, alors que chacun se remet tant bien que mal de cet épisode douloureux, une forme apparaît au loin. Elle semble sortir tout droit d’un mauvais rêve. Un homme à moitié dévêtu à la silhouette amaigrie, les cheveux hirsutes et la barbe négligée et sale s’avance sur le chemin sinueux qui mène au village….
Fabian Menor a su retranscrire avec force et délicatesse le roman poignant de l’auteur vaudois. J’ai pour ma part relu le livre pour m’imprégner de l’écriture du romancier et pour pouvoir faire un rapprochement entre les deux versions. Ce fut avec enthousiasme que j’ai replongé dans ce récit que l’on m’avait fait lire à l’école et qui, à cette époque-là m’avait si peu parlé. Certainement trop jeune pour y déceler toutes les subtilités de cette vie montagnarde, la poésie de l’écriture et sa contribution au patrimoine helvétique !
Après Elise, édité à La joie de lire et réalisé en noir et blanc d’un trait fin et léger, le bédéiste nous revient avec un album tout en couleurs. Le découpage est multiforme : des cases de forme carrée ou rectangulaire, en hauteur ou en largeur. L’ouvrage est également agrémenté d’incroyables paysages en pleine page. Son format et son aspect mat et attrayant est très élégant. Les personnages ont de la « gueule » et je ne me voyais pas les imaginer autrement.
Une fable bucolique et tragique, à lire, relire ou découvrir. Cette histoire a traversé les âges sans prendre une seule ride et Fabian Menor a su lui apporter un souffle nouveau. C’est une éclatante réussite !
Chronique de Nathalie Bétrix.

© Editions Helvetiq , 2022.