Le coup le plus spectaculaire réussi par le Diable, est d’avoir fait croire à tout le monde qu’il n’existait pas. Et puis un beau jour, il s’est envolé. Voici une belle entrée en matière pour vous parler de Grendel par Matt Wagner dans la collection Urban Cult.
Hunter Rose est un homme tout-à-fait respectable. A l’adolescence, il fut champion d’escrime avant de se reconvertir en romancier à succès. Il est adulé et fortuné, ses livres se vendent à des centaines de milliers d’exemplaires. La réussite lui a permis de fréquenter les hautes sphères de la société et d’adopter une pupille, Stacy Palumbo. Ils vivent dans le luxe et le confort matériel. La petite fille ne manque de rien à l’exception d’amis de son âge.
Hunter est néanmoins quelqu’un de trouble. Jocasta Rose, l’amour de sa vie, est décédée. Une mutation génétique a provoqué chez lui un surdéveloppement de ses aptitudes physiques et mentales. Alors, à la nuit tombée, il endosse le masque et devient le cruel Grendel.
Plus de faux-semblant, Grendel est sa véritable identité. Il n’est autre que le patron du crime organisé de la Grosse Pomme. Le super-vilain dirige son organisation d’une poigne de fer, personne n’ose lui tenir tête. Il s’est débarrassé de ses rivaux dans ce que la presse a surnommé le massacre du littoral et dévoile sa nature machiavélique. Rose porte le gène du guerrier, c’est un psychopathe mégalomane. Sa soif de domination n’a d’égale que sa cruauté car le croquemitaine contrôle la ville par la peur et le meurtre. Faire disparaître un simple homme de main, un gros ponte, une personnalité publique ou une famille entière (enfants y compris) ne lui cause aucun remords vu son manque d’empathie. Ce génie du mal balaye d’un simple geste de la main quiconque se met en travers de son chemin. Il ne laisse aucune empreinte ou preuve susceptibles de le trahir.
Loup Argent, l’inspectrice Liz Sparks et le journaliste Lucas Ottoman sont ses ennemis jurés. Cette poignée d’intrépides et d’irréductibles tente de renverser le nouveau Napoléon du crime New-Yorkais. Y arriveront-ils ? Le salut pourrait-il venir de là où on ne l’attend pas ? Larry Stohler le bras droit roublard de Grendel, l’orpheline Stacy seraient-ils en mesure de le confondre et de le piéger ?
Matt Wagner brise le mythe du milliardaire philanthrope, il transforme des Bruce Wayne, Tony Stark en esprits criminels tordus habités par des rêves de conquêtes démesurées. L’auteur change la donne par rapport à ce que peuvent proposer les deux majors que sont Marvel et DC. Il s’inscrit dans la mouvance du déconstructionnisme super-héroïque tout comme le firent par la suite Mark Millar et Steve McNiven avec Nemesis ainsi que Kaare Andrews sur Renato Jones. Matt Wagner donne vie à une silhouette costumée criminelle emblématique qui fleure bon les serials de la Belle Epoque sans oublier les polars/films noirs. On pense de suite à James Moriarty, Fantômas où Keyser Söze…des diables qui s’habillent en Prada. Le scénariste dépeint un monde qui fait froid dans le dos à l’aide d’un synopsis intense et sordide. Il sait être rafraîchissant et conceptuel. Ce conteur hors-pair utilise différentes techniques narratives telles que l’accumulation des séquences, le journal intime, le récit à la première personne et les articles de presse pour brouiller les pistes. C’est un régal de voir que le texte peut parfois envahir la planche, que les mots prennent autant d’importance que l’illustration.
46 artistes seront invités afin d’épauler Matt Wagner pour la partie graphique, la crème des indépendants lui prêtera main forte. Ils travailleront uniquement en noir, blanc et rouge. Ce champ chromatique restreint permet d’élaborer le dessin de manière «primale». L’art séquentiel se travaille dans une esthétique à la fois claire, lumineuse, ombragée, saturée et pure. La mise en page capte le regard et l’attention du lecteur. Elle est déstructurée à l’instar du script. Comment ne pas succomber face au crayonné arrondi, tramé et Art déco de Matt Wagner ? A l’onirisme visuel de David Mack, au tracé mélancolique de Teddy H. Kristiansen ? Nous sommes happés par l’hyperréalisme de Tim Bradstreet et les aplats sombres de John Paul Leon. Aspirés devant le croquis hachuré aisément reconnaissable de Guy Davis jusqu’au style jeunesse de Jill Thompson. Songeurs devant les traits baroques de Duncan Fegredo et anguleux de Cliff Chiang. Littéralement émerveillés par l’originalité dépouillée, expressive qui se déploie sous la mine de Michael Avon Oeming et Phil Hester. Hypnotisés à la vue du genre archi-fouillé de Michael Zulli ou par la frénésie d’Ashley Wood etc…Ces artisans prennent du plaisir. Ils s’éclatent avec une liberté totale concernant la mise en page. Les encreurs et coloristes peaufinent, améliorent ce ton particulier avec sensibilité. Ils sont les garants d’un minimum de cohérence imagée. Chacun pourra y trouver son compte avec ce festival artistique.
Un célèbre chiroptère a dit récemment dans un film qui cartonne au box-office : « Je suis la vengeance !». Allez donc voir du côté de Grendel (splendide parpaing intégrale de 608 pages qui en appellera d’autres) pour prendre votre ration de frissons et d’action, vous m’en direz des nouvelles à l’occasion !
Chronique de Vincent Lapalus.

©Urban Cult, 2022.