Ordre de réquisition de surface habitable! Le sud de l’Europe est devenu invivable du fait du dérèglement climatique. Italiens, Espagnols et Portugais se retrouvent réfugiés climatiques! Et suite à la loi Solidarité Environnement, les Français doivent les accueillir chez eux. C’est le scénario, terriblement efficace, développé dans la bande dessinée » réfugiés climatiques & castagnettes « , de l’excellent David Ratte, aidé dans la mise en couleur par Mateo Ratte, parue aux éditions Grand Angle en 2021.
Louis Clémant-Barbier, jeune parisien habitant le XVIème arrondissement, au bord de la névrose, est rongé par ses tocs et consulte une psy. Il sort avec une pimbêche, Bérénice, délicieusement insupportable et hautaine – mais vit seul. Habitant un rez-de-chaussée d’immeuble, c’est une octogénaire, Madame Maria Del Pilar, qui atterit chez lui – et ses petits enfants sont répartis dans les étages.
Evidemment, les réactions des Français sont très contrastées : Louis est dépassé, angoissé et se sent totalement envahi par cette famille si différente, par cette situation irréaliste, par cette colocataire tellement plus âgée. Certains de ses voisins offrent un accueil plus serein et bienveillant ; mais la situation provoque jusqu’à un profond dégoût d’autres personnes, qui font tout pour contourner l’obligation. La mère de Louis, aussi bourgeoise que cynique, est de cette dernière catégorie.
Le récit nous offre une succession de personnages bien contrastés : Maria, aux mimiques drôles et variées apporte fraîcheur, joie de vivre et vivacité à un quotidien déprimant ; la soeur de Louis, jeune et rebelle, est ravie de son indépendance nouvelle ; le frère de Nieves roule les mécaniques, en macho au caractère méditerranéen bien trempé ; le voisin qui sort sa poubelle râle à souhait… Certains dialogues en espagnol, non traduits, accentuent le choc des cultures, tout en apportant la délicieuse musicalité ensoleillée de cette langue.
Maria bouscule Louis, demandant en voyant son frigo où l’on peut acheter de la vraie nourriture, faisant débarquer tout l’immeuble dans son appartement autour de la paella sacrée, invitant à accepter les épreuves (« c’est pas triste, c’est la vie! »)… La mamie ne parlant par français – c’est la petite-fille, Nieves, qui fait l’intermédiaire. Très jolie jeune femme, elle ne laisse pas Louis totalement indiférent… Sa vie bascule, réussira-t-il a sortir du carquant imposé par les codes de bonne famille ?
Les dessins sont fins et très bien réalisés – avec l’aide d’une tablette graphique mais tout en restant assez naturels, avec des jeux d’ombres et lumières intéressants. Un soin remarquable est apporté aux détails des visages, aux décors, et jusqu’aux documents officiels du Ministère de l’Ecologie et de la Crise Climatique. Les jeux de regard en disent long à la fois sur la barrière de la langue, et sur les émotions diverses des personnages : angoisses, curiosité, jalousie, xénophobie… Quelques dessins grand format laissent imaginer avec force l’ampleur des catastrophes en cours : submersion marine, incendies, espèces invasives… On retrouve également des scènes de vie quotidienne très fidèles au Paris que nous connaissons (boulangerie, épicerie, restaurant chic, gare, cages d’escalier…), à quelques détails près : méduses dans la Seine, tentes dans les parcs…
L’humour de cet album est absolument irresistible. L’auteur, par son éloge de la différence, nous invite également à casser les clichés de l’immigration, de la vieillesse, à nous ouvrir à l’autre ; et finalement à imaginer que le monde de demain pourrait être en rupture avec celui d’aujourd’hui… Pour le meilleur ? Premier opus à lire au plus vite, avec une chute qui donne hâte de connaître la suite.
Mélanie Friedel – Huguet
