Aujourd’hui, prenons le ferry des éditions Delcourt afin de suivre le parcours de nos guides touristiques Serge Lehman et Frederik Peeters pour la station balnéaire de Saint-Elme.
Une fois débarqués, nous découvrons une petite ville de montagne isolée et coupée du reste du monde. Ce lieu se trouve hors du temps, on ne sait pas exactement où il se situe sur la carte. En Suisse, en Autriche où dans les Pyrénées peut-être…les grenouilles y prolifèrent, les combis Volkswagen ainsi que les vieilles bagnoles américaines et des modèles motorisés plus récents y empruntent des routes bien sinueuses. Dans cette bourgade, la population pratique encore de vieux rites païens et sacrifie des vaches. Tout le monde se connaît donc les habitants ont une forte propension à dissimuler leurs vilains petits secrets. Saint-Elme survit grâce à l’usine d’eau minérale dirigée d’une main de fer par la lignée des Sax. Elle est composée de Roland le père, un véritable roc avec lequel il vaut mieux éviter de négocier. Ses enfants, Stan et Tania, deux gros glandeurs accessoirement cocaïnomanes qui ne foutent rien de leurs journées à part branler les mouches. Ce sont eux qui dirigent la commune en magouillant avec madame le Maire et le directeur Jansky.
C’est alors qu’entre en scène Franck Sangaré, un détective qui tire une gueule de six pieds de long. Il est toujours flanqué de sa paire de lunettes de soleil sur le nez, c’est un homme usé physiquement et fatigué moralement. Le genre de flic dont la meilleure réplique est : «J’peux pas vous le dire !». Cet enquêteur dans l’intérêt des familles fait équipe avec madame Dombre. Ils doivent retrouver Arno Cavaliéri, un jeune fils de bourges. Le fugueur se serait mis en cheville avec Red Dog le dealer du coin. Pendant ce temps, un gangster du nom de Morba se retourne contre ses complices lors d’une transaction et les descend un par un. La responsable serait Katyé, elle a été kidnappé et dessine d’étranges sigles sur n’importe quelle surface lisse. Une force invisible aurait-elle poussé le criminel à libérer l’otage ? Mystère. Au même moment, la globe-trotteuse Romane Mertens fait la connaissance de Paco, l’ermite à la jambe atrophiée. Quelles peuvent être les connexions et les interactions entre tous ces protagonistes ? Pour l’instant, on ne sait pas, on ne sait plus, nous sommes perdus. Mais ces questions doivent certainement trouver un début de réponse au Col de la Lanterne.
Serge Lehman jette les bases d’un polar autarcique style Les Rivières Pourpres de Jean-Christophe Grangé. Cet auteur intègre les recettes du roman noir auquel il ajoute une once de folklore, une pincée de fantastique et une dose conséquente de thriller policier. Le récit est aussi vaporeux qu’une source chaude, l’intrigue principale est parsemée d’un autre jeu de (vraies/fausses) pistes. Lehman éparpille divers éléments ici et là dans son script, il nous en raconte juste assez mais pas trop pour nous tenir en haleine. La frontière entre la clairvoyance et le flou total est mince. Le scénariste déconcerte puis s’évertue à laisser planer le doute lorsque le ton décalé effleure la perception réaliste. C’est un théoricien magistral dans l’élaboration d’histoires oppressantes et un maestro de l’ellipse.
La feuille de route de Serge Lehman est retravaillée au bon vouloir grâce au talent de Frederik Peeters, l’artiste signe une illustration tout aussi énigmatique et impénétrable que le synopsis. Ses crayons et ses pinceaux ont trempé dans une épaisse nappe de brouillard. La mise en page privilégie les cases de taille panoramique tandis que les cadrages sont étouffants. Le crayonné se veut très organique et vivant, le découpage chiadé pose l’atmosphère de bizarrerie ambiante. L’environnement naturaliste occupe une large place dans cette aventure. La colorisation s’applique à l’électroluminescence. Ce rayonnement électrisant des bleus, rouges, verts, violets propose un rendu qui accentue l’asphyxie. L’ambiance est servie par un traitement pictural très particulier. Les couleurs criardes nous tapent dans l’œil jusqu’à la saturation avec la capacité de nous happer littéralement.
Les éditions Delcourt présentent un premier volume fichtrement bien fichu, délicieux mais assez nébuleux. Malheureusement et comme souvent, nous sommes tributaires de ce diabolique tandem créatif. Je ne peux que rajouter…affaire à suivre !
Chronique de Vincent Lapalus