RECKLESS

Vous avez un problème persistant ? Ne nous inquiétez pas car Ed Brubaker, Sean et Jacob Phillips vous glisseront discrètement un numéro de téléphone en cas de besoin. Une fois composé, le standard des éditions Delcourt vous mettra en relation avec une personne bien précise. Votre contact se nommera Reckless. Dès que vous vous serez mis d’accord sur les modalités, il sera en capacité de vous aider quitte à employer des moyens peu orthodoxes.

Un gars a apparemment terminé des pourparlers assez musclés et il laisse des kilos de viande froide dans son sillage. Malheureusement un badaud du coin se pointe à ce moment là, nous savons d’ores et déjà que tout ceci se terminera en boucherie. Qui peut bien être ce type ? Eh bien, c’est Ethan Reckless pardi !

Début des eigthies en Californie, Ethan Reckless tente de mener un semblant d’existence banale. L’eau mouille, le soleil brille, le sable est chaud, les femmes ont des secrets et c’est ça la vie. Pour lui, tout part en couille depuis un moment et la malchance est devenue une compagne assez collante mais Reckless a monté une petite PME qui lui rapporte une poignée de billets verts pour boucler les fins de mois.

Des connaissances ou de parfaits inconnus se retrouvent dans la mouise et ne peuvent faire appel à la police, elles décrochent leur combiné et expliquent leurs soucis. Ensuite, Ethan se charge de régler  l’affaire. Reckless est un radical à la personnalité bancale, il recourt à des procédés pas très catholiques et cela ne le dérange aucunement. C’est un bourrin. Se salir les mains, il adore ça et puis c’est son gagne-pain après tout. Son QG est un vieux cinéma acheté grâce à l’argent de ses contrats. Les affaires sont tellement florissantes qu’Ethan a recruté Anna, une assistante pour gérer un planning surchargé.

Rainy Livingston, un ex flirt, engage Reckless. C’est une braqueuse de banque qui s’est faite doubler par un certain Wilder. Son ancien complice lui aurait dérobé la coquette somme de deux cent mille dollars. Ethan enquête sur lui, il jauge le danger et estime qu’il n’a pas besoin de se la jouer diplomate avec ce salopard de la pire espèce. Après tout, c’est un professionnel hors-pair dans l’explosion d’articulations et la mort soudaine de Rainy lui donnera raison.

Ed Brubaker excelle dans le polar, il bifurque cette fois-ci dans la mouvance «vigilante» typiquement représentative de ces nombreux films agressifs qui inondaient les salles obscures ou les postes de télévision dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Ils célébraient des protagonistes violents décidés à rendre coup pour coup. Clint Eastwood et Charles Bronson en tête étaient les modèles de cette période froide et sombre. Ces héros, si on peut les considérer ainsi, étaient totalement dépourvus d’empathie. Le scénariste s’engouffre dans ce courant, il laisse sa plume divaguer avec toute la puissance et la verve qu’on lui connaît. Son récit se créé sans limites ni barrières pour dépeindre un univers pourri jusqu’à la moelle et ses dialogues sont de l’ordre de la punchline. Les échappés du système sont glorifiés et sublimés chez Brubaker, ils encaissent et subissent l’abominable de manière encore plus détachée voire expéditive. L’auteur signe une histoire de vengeance régressive, un brin poussive mais pourtant totalement assumée et jouissive.

Les Phillips père et fils revoient leur méthode de travail afin de nous proposer trois romans graphiques produits sur un an. Le style devient plus épuré pour gagner en vitesse d’exécution. Le trait se déploie avec épaisseur, le crayonné est moins affiné mais gagne en spontanéité. Les arrière-plans sont toujours présents mais simplifiés également car Sean Phillips prête moins d’attention aux détails. L’économie de moyen pousse l’illustrateur à se servir de gaufriers classiques et minimalistes, sa mise en scène favorise les quatre à six cases par planche. Les splash-pages sont employées avec parcimonie et ne sont nécessaires que pour poser le début de l’action ou  apporter de l’impact. L’artiste opte pour une pagination brute de décoffrage et cela fonctionne à merveille.

Jacob Phillips en fait de même, sa colorisation s’applique avec frénésie. Il reste dans la méthode des grands aplats pigmentés, nous évoluons vers des nuances à l’éclairage au néon. Le bleu, le jaune, le mauve, le rouge, l’orange et le violet se posent dans un esprit primaire et primal. Les couleurs percutent la mine de plomb sans oublier l’encre de chine afin d’installer une atmosphère de malaise et une dramaturgie crue. Le dessin et les teintes sont façonnés à l’arrachée et sans chichi pour maintenir une intensité graphique sous haute pression.

Vous l’aurez compris, cette nouvelle série est un chef-d’œuvre coup-de-poing du crime-comics. Le Justicier n’est plus le seul guerrier de la nuit à rendre sa sentence impitoyable en ville. Nous pouvons désormais compter sur Ethan Reckless si bien entendu, le budget nous le permet. Alors à très vite pour la suite !

Chronique de Vincent Lapalus.

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