TANANARIVE

Quand j’étais petit, mon grand-père me disait souvent : « Tu sais Vincent, les vieux, il faut les tuer à la naissance !». Ce à quoi je lui rétorquais : « T’es fou pépé, c’est bien de vieillir, comme ça t’as plein de trucs à nous raconter !». Après la lecture de Tananarive aux éditions Glénat de Mark Eacersall, Sylvain Vallée et Delf, qui pourrait avoir raison ? A savoir, le jeune naïf rêveur et tête en l’air que j’étais ou le patriarche un rien plaisantin qui me servait d’aïeul ? Ce sera à vous d’en juger et j’espère une réponse de votre part en fin de chronique. Je compte sur vous !

Dans une rue pavillonnaire de la ville de Sacy, vivent Amédée Petit-Jean et Joseph Gaston Seigneur. Ils sont voisins, potes et inséparables. Bien que tout les oppose, les deux retraités passent la plupart de leurs soirées ensemble.

Amédée est un ancien cadre administratif qui a depuis longtemps cessé son activité. Il compose avec Françoise un couple sans souci ni enfant. C’est un gars qui mène un train de vie paisible et sédentaire. Amédée n’est jamais sorti de sa zone de confort et il boit littéralement les paroles de son vieil ami jusque tard le soir non sans un bon verre d’alcool fort.

Joseph est un aventurier, c’est l’Indiana Jones du quartier. Dans sa folle jeunesse, il a vécu des aventures incroyables sur tous les continents. Jo a été tour à tour soldat, prospecteur, gigolo, cultivateur etc.…Parfois de l’oseille plein les poches et à d’autres moments sans un rond. C’est un vrai baroudeur, un dur à cuire, un type sans attaches. Amédée ne se lasse pas d’écouter les histoires abracadabrantesques de son compère. Mais le trésor que Joseph chérit par-dessus tout c’est sa collection de Pinpin, son héros de papier préféré.

Hélas, par une matinée printanière pendant laquelle il fait un peu d’exercice physique pour se maintenir en forme, Jo succombe d’une crise cardiaque. Amédée est dévasté, la destinée vient de subitement lui enlever ce frère de cœur. Il perd goût à la vie et sombre dans la déprime. Les veillées de papotage bien arrosées sont terminées. Jo est décédé et il n’a rédigé aucun testament. Qu’à cela ne tienne et comme dernière croisade, Amédée se met en tête de retrouver un possible héritier car son acolyte lui avait vaguement parlé d’une liaison avec une Vénus africaine d’une grande beauté lors d’une de leurs fameuses discussions.

Tel Nestor Burma, Amédée enfile l’imper et le chapeau Homburg puis saute dans sa Triumph Spitfire MK2 décapotable. La suite devient trépidante, le détective privé Petit-Jean mène l’enquête. Amédée oublie sa vie bien rangée et part en virée sur les routes de France et de Belgique. Son enquête le mènera tout d’abord vers Maubeuge, Bruges puis Calais. Amédée le chevalier blanc est sur les traces du rejeton de Jo, un ancien légionnaire.

Je ne connaissais rien au travail de Mark Eacersall avant de prendre connaissance du contenu de Tananarive. Cet auteur franco-britannique a fait ses armes dans l’audiovisuel, puis dans le cinéma et le théâtre. Lorsqu’il s’exerce à la bande dessinée, Eacersall apporte un côté neuf et propose un récit généreux qui respire l’évasion. C’est un rendez-vous humain que l’on partage avec les artistes. Le rythme scénaristique s’apparente à une déferlante sensible et affective. Il nous fait passer par un large panel d’émotions. Ce talentueux conteur mixte habilement cadre réel et fiction. L’esprit vogue, on sourit, on rit, on rumine et on râle grâce à cette prose de qualité. La force de cette ode humaniste réside dans la combinaison subtile du comique de situation côtoyant la tragédie. Les dialogues découlent naturellement. Parfois le texte laisse des hectares de liberté à l’illustration. Le scénariste témoigne d’un profond respect pour nos ainés et porte un regard empli de compassion sur le traitement des septua-octogénaires. C’est un récit sur le temps qui passe à la fois poétique et poignant.

Quand on a à faire à un technicien-artiste du calibre de Sylvain Vallée, on ne peut que poser un œil éclairé et émerveillé sur ses planches. Elles le sont tout autant que celles concoctées pour Il était une Fois en France et Katanga en compagnie de Fabien Nury. Comme à l’accoutumée, sa mise en scène est diablement structurée et solide. Le trait est gourmand à souhait. La pagination se veut onirique, aérée et explosive. Son style lorgne du côté du semi-réalisme expressionniste. Les cadrages sont serrés, les gros plans sont immersifs. La patte visuelle de l’artiste témoigne de son ingéniosité. Le crayonné est à la fois inventif, drôle et triste. Nous ressentons tout son plaisir de travailler sur une telle partition. Sylvain Vallée est un dessinateur de volume et de forme. Il possède un fort univers graphique où tout est authentique et équilibré, son talent est indéniable. L’interprétation attire l’œil et l’anatomie tape juste. C’est du sérieux et du costaud. Delf applique une colorisation astucieuse. La pigmentation fleure bon la promenade imaginaire rehaussée par des teintes très terre à terre, c’est un brillant melting-pot de nuances.

En conclusion, je persiste à penser que ma vision des choses est la bonne, Tananarive aux éditions Glénat en est la preuve formelle. Avec cet ouvrage, je suis persuadé que les seniors restent des cadors pour des générations et des générations. Et vous ?

Chronique de Vincent Lapalus.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s