L’évangile selon Jonas explique ceci : « Tu dois finir ce que tu as commencé, sinon une nuée de chevrotine viendra te titiller l’échine ». Il est donc fortement conseillé de lire la conclusion du troisième diptyque de la série Undertaker. L’album Salvage se trouve être sous la juridiction scénaristique du shérif Xavier Dorison, il est croqué par le pistolero Ralph Meyer et colorisé par la Calamity Jane de la nuance, Caroline Delabie. Les hautes instances des éditions Dargaud proposent cette nouvelle conquête américaine sous un soleil couchant sanguinaire.
Dans L’Indien Blanc, le volume précédent, le digne taxidermiste de la Grande Faucheuse rendait service à son vieux complice Sid Beauchamp. Il devait ramener le corps de Caleb Barclay, capturé et inhumé en terres indiennes pour Tucson. La mort de cet homme se révèle être un coup orchestré par Sid. Crow s’était rendu compte de la supercherie et décida donc de raccompagner la dépouille auprès de sa nouvelle famille d’adoption. Durant cette chevauchée animée, Beauchamp en profite pour faire capturer Jonas, Kenitei l’ancien, Salvage et Chato le jeune métis aux yeux bleus.
C’est alors un retour à la case départ, tout le monde reprend la direction de l’Arizona. Beauchamp tient à passer la bague au doigt de sa bien-aimée, il est devenu une personnalité appréciée par la veuve la plus fortunée de la ville. Désormais Crow a deux objectifs, remplir son contrat et garder en vie les trois indiens qui l’accompagnent.
Jonas tente de renverser la vapeur en avouant à Joséphine Barclay que Sid est l’unique responsable du décès de Caleb. Partant du principe que son garçon était déjà perdu, elle s’en moque et jette son dévolu sur son amérindien de petit-fils. L’héritière traite ses hôtes comme des moins que rien, pire que des animaux.
Jonas, la farouche Salvage et le bienveillant Kenitei seront contraints de laisser Chato avec son aïeule. Ils monteront de force dans un train pour être flingués plus tard, leurs cadavres seront balancés le long de la voie ferrée hors de l’état de Tucson. La réplique est immédiate, une ghost-dance furieuse et endiablée se déchainera sur tous les visages pâles. La diplomatie on oublie, ça ne va pas se faire dans la dentelle, la vengeance s’appliquera à la méthode Chiricahua . Autrement dit, la contre-attaque sera expéditive et barbare à grands coups de tomahawk avec ces trois lascars. Maintenant, le plus important est de recouvrer Chato et déterrer Caleb pour fuir rapidement. Tucson deviendra un abattoir. Les locomotives serviront de bélier, les obus feront exploser la banque comme au casino. Les billets verts voleront aux quatre vents et l’hôtel Ambassador aura l’insigne honneur de finir en miettes. Les rôles s’inversent, les geôliers deviendront les proies. Jonas Crow a les crocs et preuve sera faite qu’il ne faut jamais pousser un Native American dans ses derniers retranchements car son courroux sera féroce…
Xavier Dorison prouve sa maîtrise du western franco-belge. Il signe un scénario dur, teigneux mais tout de même ludique et intense. Dorison sait jouer avec efficacité et simplicité pour éviter de sombrer dans une intrigue inutilement « tarabiscotée » ou confuse. Il revisite les grands mythes dans la pure tradition d’un genre assez codifié mais l’ami Xavier possède la capacité de rester frais et imaginatif. Cet auteur expérimenté évite de tomber dans les poncifs, c’est un conteur de talent qui en a sous les talons de ses bottes et qui prend du plaisir à faire de la bande dessinée. Son personnage principal est charismatique et profondément détestable. Le héros évolue dans des histoires aux sujets intemporels et universels grâce à des récits exaltants.
Que dire des illustrations signées Ralph Meyer et Caroline Delabie ? Tout simplement que le dessin et la mise en couleurs sont justes, équilibrés, parfaits. Les deux artistes jouent sur le même terrain que leur scénariste en déployant une superbe échappée graphique qui respire l’aventure collective. Nous pouvons discerner une certaine filiation entre Ralph Meyer et Jean Giraud. Son trait puissant est appliqué en toute liberté, son art est habité. Les contrastes sont renversants, les champs et autres cadrages s’étendent à une échelle panoramique. C’est un illustrateur de trognes et un habile metteur en scène. Caroline Delabie apporte une pigmentation qui inhale l’air et l’odyssée de ces grands espaces rudes. Elle dépose avec maestria des teintes dignes des vents du Grand Nord aux prairies glaciales de l’Ouest américain pour appuyer l’atmosphère changeante du script. En bref, la qualité et la sensualité de l’esquisse nous donnent rendez-vous.
En conclusion, l’ecclésiaste sacré de Crow ajoute cela : « A toi le vertueux qui tient à mourir dans ce nouveau monde. Tu seras prié de crever la gueule ouverte mais en silence sinon l’ombre du vautour apprivoisé viendra finir les restes de ta vieille carcasse pourrissante ».
Chronique de Vincent Lapalus.