ELEKTRA renaît à la vie

S’il y a bien un créateur qui a su toucher ma sensibilité de lecteur et provoquer chez moi un effet dévastateur, c’est Frank Miller. Que ce soit dans les bas-fonds de la ville du péché, ou encore avec son interprétation vieillissante un brin tonitruante du Chevalier Noir ou de sa reprise de tête à cornes chez Marvel, l’artiste s’est permis toutes les fantaisies avec une liberté créative totale et il a pendant un temps contribué à relancer avec son comparse Alan Moore l’industrie du comic-book. Un album créé conjointement avec Lynn Varley frôle le chef-d’œuvre absolu mais reste cependant bien trop méconnu. Son titre : Elektra renaît à la vie. L’ouvrage est de nouveau disponible en format Giant-Size aux éditions Panini Comics.

Matthew Murdock est avocat à la ville et non-voyant depuis qu’un isotope radioactif lui a fait perdre la vue. Pourtant à la nuit tombée, il enfile son costume de « vigilante ». Pour pallier son handicap, Matt est équipé d’un sens radar hyperdéveloppé. On le surnomme l’homme sans peur ou le diable de Hell’s Kitchen alias Daredevil.

Matthew est un être tourmenté et dévasté. Elektra Natchios, son grand amour, a succombé dans ses bras. Le responsable de ce drame n’est autre que Bullseye et pour cela il croupit en prison de haute sécurité. Mais Matt passe des nuits agitées. Quand il arrive enfin à trouver le sommeil, il se laisse porter dans un rêve pénible et récurrent. Étonnamment dans ses songes, Matthew recouvre son acuité visuelle. Il voit Elektra qui lutte sans fin contre le clan de la Main, une organisation menée par des criminels et prêtres satanistes. Des adeptes malfaisants qui maîtrisent un étrange sortilège de résurrection. Leur quête a pour unique but de rechercher des assassins impitoyables n’ayant aucune crainte de mourir. Les porteurs de bures sombres raniment ces meurtriers pour les transformer en machines à tuer parfaites, puissantes et dénuées de toute conscience.

Matthew craque, il pense devenir fou. Ce lien invisible mais ténu qui l’unissait à Elektra que l’on appelle plus communément l’amour inconditionnel, se jouerait-il de sa psyché ? Mais ce cauchemar est hélas bien réel. Il rattrape ce pauvre Murdock lorsque Le Tireur (Bullseye) se fait froidement exécuter pendant sa détention. N’ayant pas connaissance du retour de la belle amazone, Daredevil stupéfait retrouvera sa bien-aimée. Les deux amants éconduits devront unir leur force pour contrecarrer cet ordre obscurantiste et en finir avec le psychopathe de service afin qu’il ne serve jamais la Main. La chasse à l’homme est ouverte, l’affrontement final se déroulera dans un silence terrifiant accompagné d’un ballet d’arts martiaux aux chorégraphies surréalistes. La conclusion possède d’ailleurs des allures de tragédie grecque, faite de tristesse et de mélancolie.

Après un run remarqué qui a propulsé la série Daredevil au premier plan, Frank Miller clôt son passage sur le titre avec ce volume de manière magistrale. L’auteur parachève la déconstruction du surhomme pour mettre en avant l’individu. Le récit s’appuie sur la thématique universelle de la passion tumultueuse sinon impossible plus forte que le repos éternel. Le synopsis s’ancre dans l’être humain avec des tonalités lyriques et oniriques. Les protagonistes en ressortent grandis. Matthew Murdock touche le fond. Il devient un personnage dépressif, touchant, courageux mais tenace. Il n’est rien d’autre qu’une âme meurtrie qui doit sans cesse lutter contre ses démons intérieurs.

Concernant la partie visuelle, Miller opte pour un style qui se hisse au niveau des standards européens. Le dessinateur utilise un crayonné baroque, architectural, puissant voire décharné par moments. La construction et la composition de l’esquisse renvoient à des gaufriers aux agencements multiples. Les cases sont protéiformes et se partagent harmonieusement l’espace et la trame. Elles sont accompagnées de pleines pages au rendu percutant. Le jeu de perspectives laisse les corps se mouvoir en toute impunité sur la planche, comme si les acrobaties des héros définissaient la trajectoire de l’histoire. Lynn Varley dégaine une palette de teintes afin de renforcer un dessin exempt de toute faiblesse graphique. La coloriste emploie tour à tour des couleurs cadavériques pour les corps, des tons vitreux comme de la peinture sur verre pour les séquences se déroulant à l’intérieur d’une église où des nuances immaculées lors des combats dans la neige. Bref, le crayon, l’encre de chine et la pigmentation atteignent un niveau remarquable.

Elektra renaît à la vie aux éditions Panini Comics est une romance désenchantée déguisée en récit super-héroïque. Une lecture qui rappelle violemment les peines de cœur et les blessures que l’on a pu ressentir au moins une fois dans son existence. En conclusion, j’ajouterai ceci :

« Ma guerrière, ma valkyrie. D’un simple geste, tu aurais pu balayer toutes ces années tristes et monotones de solitude depuis cette nuit où tu fus mienne. Me laissant seul désormais avec ma peine. Je t’appartiendrai toujours et jamais. Toujours, jamais… »

Chronique de Vincent Lapalus.

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