Parfois notre esprit préfère oublier certains traumatismes qu’on nous a infligés lors de notre enfance. Malheureusement, tout aussi vite qu’ils se sont endormis, ils peuvent revenir à la vie. Il suffit de se retrouver en présence d’un texte ou d’une image qui va faire resurgir ce que l’on a eu tant de mal à enfouir… Grand silence de Théa Rojzman et Sandrine Revel paru aux éditions Glénat, fut pour moi comme un électrochoc. Il m’a fallu l’intervalle de ce récit, aux pages d’une troublante douceur pour que mon corps et ma tête se réveillent à des souvenirs si longtemps enterrés…
Freddy, lors d’un mariage, moment de fête et d’allégresse, voit sa vie de préadolescent chavirer. Le beau-frère du marié, l’exubérant Octave, va entrer en action ! Son dévolu se porte sur le jeune garçon, qui le suit en toute confiance, parce qu’à 11 ans, on est un peu naïf et que l’on se croit en sécurité avec nos proches ! Le retour à la maison va se faire dans un profond silence…
Six ans plus tard, Arthur et Ophélie, les cousins de Freddy, sont ébranlés par leurs parents qui se déchirent. Ils prennent la décision de se séparer. Arthur part vivre avec son papa, Ophélie reste avec leur maman. Ils se promettent de regarder toutes les nuits la lune pour rester connectés. Le jour, ils se retrouvent à l’école pour parler et rigoler.
Quand il y a un fruit pourri dans notre entourage, il peut altérer plusieurs individus. C’est comme cela que la petite Ophélie va subir, dans l’intimité de sa chambre, les frasques déviantes du tonton Octave. Son grand frère, quant à lui, est embarqué dans les fourberies de son cousin Freddy, jamais remis de l’agression qu’il a endurée.
Malmenés, brisés, abandonnés, trois enfants subissent la brutalité de membres de leur famille. Qui va les écouter ? Qui veut bien les croire ? Où vont-ils trouver de l’aide ? Vers qui se tourner…. Dans ce genre de contexte, on apprend très vite que l’on peut difficilement compter sur nos congénères et que les accidentés peuvent devenir à leur tour des oppresseurs.
J’ai été submergée par tant de sentiments en contemplant cet album, que j’en ai encore de la peine à trouver mes mots. L’écriture est profonde, quelquefois brutale, mais tellement juste. Les propos qui sont abordés le sont sans détour, avec pudeur et authenticité. On y discerne une autrice à fleur de peau dont les blessures ne sont pas encore cicatrisées. Si Théa Rojzman a mis du temps à trouver les bons partenaires pour l’entourer dans cette aventure, Sandrine Revel, avec son trait si délicat, y offre le caractère idéal pour un sujet aussi intime. Elles ont su, l’une avec ses mots, l’autre avec son dessin et sa mise en couleur, faire ressortir et ressentir tout ce que les victimes portent en elles. Nous sommes écorchés, abîmés, en mode survie. Nous avons culpabilisé, pleuré, voulu mourir. Nous aimerions du soutien, de l’écoute et vivre.
L’album est accompagné d’une postface touchante dans laquelle Théa Rojzman nous explique la genèse de ce livre avant qu’il n’arrive dans les rayons des librairies. Elle communique également les statistiques sur les actes inacceptables commis sur des mineurs en France. Elle met aussi à disposition, une liste exhaustive des lieux où l’on peut demander et trouver de l’aide.
J’admire Théa Rojzman pour avoir eu le courage de ne jamais abandonner l’envie d’écrire et de publier cette histoire. Je remercie également les éditions Glénat, pour avoir permis à ce titre de voir le jour. Si l’on ne guérit jamais vraiment, on peut se reconstruire et atténuer ses blessures. En parler d’une manière ou d’une autre, aide toutes celles et ceux à qui on a enlevé une part de leur enfance et insouciance.
Moi, je suis bleue et vous de quelle couleur êtes-vous ?
Chronique de Nathalie Bétrix