ESMA

Dans Esma paru aux Éditions Sarbacane, Iwan Lépingle nous entraine en Suisse sur les bords du Lac Léman, dans une résidence de luxe pour quelques happy fews, propriétaires de splendides maisons d’architectes de grand renom. C’est dans ce cadre idyllique, entre lac et forêts, qu’Esma, une jeune employée de maison va être témoin d’un double meurtre. Et nous voilà embarqués dans un thriller social conjuguant exploitation des immigrés et magouilles dans les milieux huppés sur fond d’amours contrariées.

« Si on m’avait dit que la prochaine fois que je verrais Esma, elle surgirait au milieu de la nuit, égarée, toute dégoulinante des eaux noires du Léman … » C’est ainsi qu’Audrey nous fait pénétrer dans le récit, Audrey la sportive, boxeuse à ses heures, randonneuse à d’autres qui va nous raconter comment, pour les beaux yeux d’Esma, bravant tous les dangers, elle va être amenée à jouer les détectives. Nous sommes à la fin de l’été, période plutôt calme au domaine des Arcets, un ensemble résidentiel de villas de luxe quasiment déserté par ses richissimes propriétaires. Période calme certes, mais encore chargée pour  Audrey dont le job consiste à entretenir les espaces verts du domaine. Et voilà qu’une nuit, Esma, jeune Turque en situation irrégulière chargée du ménage et des repas à la villa Matsuo avec qui elle a récemment lié connaissance est le témoin auditif du meurtre de sa patronne Siham, star de l’émission de télé-réalité Swimming Pool qu’elle retrouve (ironie du sort) flottant  dans la piscine de la propriété. En s’enfuyant, Esma découvre  une autre victime en apercevant le corps de Youssef, le jardinier, au pied d’un buisson. Et pas question de prévenir la police. Son visa touristique étant expiré depuis longtemps et ses papiers ayant été confisqués par son exploiteuse, Esma n’a qu’une crainte, être renvoyée dans son pays où elle court le risque d’un mariage forcé. Ce qu’elle désire ? Récupérer son passeport et filer sur Paris. Alors affolée, acculée, elle va se tourner vers Audrey. Et les voilà donc parties toutes deux à mener leur propre enquête avec pour seuls indices une jeep noire, les baskets customisés d’un des deux meurtriers et un certain Markus dont Siham a prononcé le nom juste avant d’être assassinée…

Un polar classique bien ficelé

On a là un polar de facture classique : un double-meurtre au départ, du danger bien sûr, une belle galerie de personnages secondaires et donc une belle brochette de suspects, du suspens, une enquête à rebondissements qui nous tient en haleine jusqu’au dénouement. On passera des milieux interlopes de la Haute Société à d’autres eaux troubles, véritables paniers de crabes où se croisent petits truands et vrais méchants. 

Aux atmosphères angoissantes admirablement mises en valeur par les images, il nous faut ajouter une bande sonore très présente avec outre les bruits de fond, un choix subtil de quelques chansons, en lien direct avec l’intrigue. Il faut dire que contrairement à Audrey, Esma a un petit côté midinette et est friande des derniers tubes à la mode. Nous la voyons s’éclater sur « Love the way you lie » d’Eminem (featuring Rihanna), ce qui n’est pas anodin, mais ça, nous ne le comprendrons qu’à la fin …

Polar dans lequel on reconnaît la patte d’Iwan Lépingle

Après avoir signé deux albums aux Humanoïdes Associés Kizilkum en 2020 et Rio Negro en 2007 dans lesquels ce grand amateur de voyages explore les grands espaces de Russie et de Patagonie, l’Orléanais Iwan Lépingle va se tourner vers un genre qu’il affectionne tout particulièrement : le polar. Cette fois, c’est aux Éditions Sarbacane qu’il confie le soin de publier trois polars dans la foulée : Akkinen : Zone toxique en 2018 et Une île sur la Volga en 2019 et enfin Esma.

Ces trois ouvrages offrant de nombreuses similitudes s’inscrivent dans une même lignée : le polar social. Profondément ancrés dans la réalité de notre époque, ils traitent en filigranes de sujets sociétaux : l’écologie et la pollution dans Akkinen, le retour à la Terre et les tentatives d’intimidation de la mafia dans Une île sur la Volga, l’esclavage moderne à travers l’exploitation des immigrés dans Esma. Similitudes aussi dans le graphisme épuré aux arbres stylisés, l’usage de la couleur directe réalisée au feutre pinceau et pour la palette l’utilisation d’une déclinaison de tons mis en valeur par des aplats de noir : tons désaturés rouge/brun/gris pour Akkinen, jaune/orange/rouge pour Une île sur la Volga et enfin camaïeu de bleu pour Esma. A noter toutefois que pour Esma, ce bleu monochrome qui met particulièrement en valeur les décors et paysages lors des nombreuses scènes nocturnes muettes cède la place aux deux tons saumon de la couverture à deux reprises dans les séquences de flashback évoquant l’enfance d’Esma en Turquie ou le passé du mystérieux Markus.

Pour terminer, signalons que l’auteur a apporté un soin tout particulier aux phylactères et la typographie, offrant ainsi de façon très discrète une grande lisibilité : cartouches rectangulaires pour les récits des différents personnages, lettrage bleu en italique pour les propos tenus à travers l’interphone ou au téléphone, police particulière pour les articles du journal « Le nouveau matin » (joli clin d’œil au grand quotidien suisse dont l’édition papier fut supprimée en 2018).

Alors, que vous passiez vos vacances au bord du Léman ou ailleurs, n’oubliez pas de mettre Esma dans vos bagages. Un bon polar à la narration parfaitement maîtrisée, quoi de mieux pour passer un bon moment ?

Chronique de Francine Vanhée

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