Aujourd’hui je vais briser votre routine journalière. C’est avec une immense joie que je vous apprends qu’enfin, le morbide fait un retour fracassant dans les bacs ! Je vais tenter de vous convaincre de lire Basketful Of Heads aux éditions Urban Comics. Cette aventure délirante est née de la collaboration de Joe Hill, Leomacs et Dave Stewart. C’est un titre qui est à la fois pop, vintage, teinté de romantisme voire abusivement sordide. Prêts pour le grand frisson ? Alors let’s go !
Début des années quatre-vingt, nous suivons l’itinéraire de June Branch. Cette jeune fille décide de rejoindre son petit ami Liam Ellworth, policier en job d’été dans la petite bourgade de Brody Island. La monotonie va bon train dans cette presqu’île assez tranquille qui se situe dans le Maine. Mais par une série de coïncidences hasardeuses, quatre prisonniers qui effectuaient des travaux d’intérêt général pour la ville vont prendre la tangente pendant qu’au même moment une inondation va couper la petite commune du reste du monde. En attendant que le chef des forces de police Wade Clausen rattrape les fugitifs et que la tempête se calme, le charmant petit couple est invité à trouver refuge dans la maison du shérif.
Déjà présents sur les lieux, les quatre crapules vont s’emparer de Liam, le torturer et l’enlever. L’un des lascars est resté dans la demeure et June n’aura pas d’autre alternative que de se battre afin de sauver sa vie. L’affrontement se prolonge dans la pièce de l’armurerie. La demoiselle aura recours à une hache celte du huitième siècle et décapitera le truand. La tête du malheureux va néanmoins continuer à lui parler. June pense qu’elle est en train de craquer psychologiquement mais pas du tout. La miss va très vite reprendre ses esprits et se rendre compte que l’arme dispose de propriétés magiques.
L’action va se dérouler en une nuit, June décidera de prendre les choses en main. Elle remontera la « chaîne alimentaire » et continuera sa croisade frénétique afin de retrouver son amoureux mais aussi de comprendre les ramifications de cette situation plus que douteuse. Est-elle liée au suicide d’une dénommée Emily ? Ou à un simple trafic de stupéfiant ? Au détournement de pièces de collection ? Ou à l’adrénaline, au pouvoir ou tout simplement à l’argent ? Les malversations passent inaperçues dans ce genre de petit bled paumé, ce coin bien paisible en apparence qu’est Brody Island. L’île cache en réalité de lourds mystères et secrets. Chaque protagoniste de l’affaire possède ses motivations propres. C’est comme un petit chaperon rouge mais inversé, la victime devient prédatrice et les salopards de la pire espèce qui croiseront son chemin vont déguster sévère. Ça je peux vous le garantir ! Pour preuve, la jolie collection de caboches qui remplit le magnifique panier en osier de la ravissante demoiselle.
Pourquoi est-ce que c’est si bien ?
Premièrement parce que c’est scénarisé par Joe Hill. Mais qui est-il ? Ce serial-killer du stylo n’est autre que le rejeton du roi de l’effroi en personne Stephen King. Et je dois bien admettre que la génétique opère efficacement puisque que le bonhomme possède un sacré talent. Joe Hill crée sa propre branche de bandes dessinées au sein du Black Label de DC Comics. Il signe un récit nébuleux et perché, agrémenté d’une intrigue rythmée et haletante. Un script sinistre où la violence est prédominante et doublée d’un humour noir grinçant. Cela démarre comme un huis-clos autarcique classique qui bascule assez rapidement dans un road-trip assez sanglant. Il est constitué d’un jeu de piste et de faux semblants qui mènent à un grand final gore et jubilatoire que j’ai trouvé succulent. Ce livre me rappelle fortement les EC Comics des années cinquante et les premiers titres Vertigo dans les eighties. Des collections faites d’aventure, d’horreur, de fantastique et de science-fiction. Ce genre avait disparu depuis des décennies, force est de constater qu’il est remis au goût du jour, modernisé mais surtout débordant de tension avec un auteur du calibre de Hill.
Deuxièmement car j’ai adoré le travail de l’équipe artistique concernant la partie graphique. Leomacs est un illustrateur ayant travaillé sur Lucifer, pour Vertigo justement. Avec Basketful Of Heads, Il emploie un dessin clair, net, précis, droit et carré. Tout est impeccable et imparable. La mise en page est énergique et cinglante. Le découpage se veut riche, souvent alerte pour apporter un rendu esthétique fort inquiétant tout comme son encrage « ambiant » et chargé. Pour combiner à la pointe humoristique du synopsis, ce faiseur d’atmosphère déploie toute une gamme d’expressions faciales du plus bel effet avec son héroïne principale.
Dave Stewart prend en charge les couleurs. Ce teinturier de l’extrême a travaillé avec la crème dans le domaine. Il a souvent collaboré avec Mike Mignola le papa de Hellboy ou Eric Powell sur The Goon, des maîtres ès épouvante fameux. Le coloriste se déchaîne et applique une palette chromatique qui lorgne vers des nuances lugubres et crépusculaires. La colorimétrie respire les tons glauques, la monstruosité avec une touche vaseuse. Autre point fort, le duo réussit la parfaite harmonie concernant l’équilibre et le jeu des contrastes. Après plusieurs pages où la noirceur culmine, il y a toujours une case ou une planche éclatante qui produit un choc visuel chez le lecteur. Nous sommes dans le domaine de l’immersion totale et jouissive, l’encre de chine et la pigmentation éclaboussent comme une bonne giclée d’hémoglobine. C’est un sans-faute réalisé de bout en bout.
Pour enfoncer le clou en terme de qualité, Urban Comics réalise un joli travail éditorial. L’ouvrage est complété par des bonus qui sont les bienvenus. Des entretiens avec les créateurs et une multitude de couvertures alternatives. Ce savoureux one-shot au contenu solide se dévore d’une seule traite.
Donc vous l’aurez bien compris, ce comic-book m’aura littéralement happé et bluffé. J’espère que vous vivrez une expérience similaire à la mienne. Maintenant il ne reste plus qu’à attendre la sortie prochaine chez Hill House de Plunge, avec Stuart Immonen aux crayons pour atteindre un kif chavirant et angoissant.
Chronique de Vincent Lapalus.