Mademoiselle Baudelaire c’est la rencontre de deux géants. Le premier est un immense poète, sans doute l’un des plus importants, un esprit vif et brillant mais aussi un provocateur mélancolique et incompris qui dérange encore deux cents ans après sa naissance comme en témoigne le peu de célébrations consacrées à cet anniversaire dans un pays où on aime pourtant tant ressusciter le passé.
Yslaire est un artiste contemporain connu et reconnu, une pointure admirée et respectée dans le monde du neuvième art. Ses réalisations laissent entrevoir avec le premier d’importantes connexions qui légitiment l’incursion de l’un dans le monde de l’autre. Il se dit habité, influencé par les poèmes du premier ce qui n’étonnera personne.
Et puis, quand on connaît l’influence des images chez le poète, on se rend compte que ce livre a tout son sens et constitue un hommage adapté et sublime.
Avec Mademoiselle Baudelaire édité par Aire Libre, le bédéiste a trouvé un angle d’attaque percutant et imaginatif pour redécouvrir l’exigeant dandy. Il met au centre de l’album la relation animée et torride que l’amateur d’antiquités entretint avec celle qui fut sa muse et peut être son seul amour, Jeanne Duval. Il la découvrit dans un théâtre et rapidement elle l’envoûta. Pendant une longue période, ils furent inséparables.
Grâce à ce récit singulier, l’auteur nous présente un personnage irrécupérable et sombre qui bien qu’il fût assez peu productif conserve une influence considérable. Qui ne connaît pas « Les fleurs du mal » ou « Le spleen de Paris » ?
L’illustrateur nous propose de redécouvrir un génie atypique, romantique et cynique qui côtoya les plus grands noms de son époque.
Extrêmement prometteur lorsqu’il était enfant, il traîna tout au long de sa vie une culpabilité dont il n’arriva jamais à se défaire.
Son existence ne fut pas un long fleuve tranquille. Malgré un confortable héritage, il accumula les mauvaises opérations et acheva ses jours dans de bien piètres conditions.
Il aimait le luxe, dépensait sans compter accumulant des dettes qui lui collèrent aux guêtres. Il goûta longtemps aux paradis artificiels, consomma du haschich, de l’opium et du laudanum qui l’aidèrent un peu à supporter la syphilis qui transforma ses jours en enfer.
Il eut pour Jeanne une passion qui échappa à ses contemporains. Elle fut intense, dévorante, insaisissable. Aujourd’hui peu de gens savent réellement sa place dans son œuvre et dans son cœur. Ils sont nombreux à réciter ses poèmes sans savoir qu’une belle à la peau couleur ébène se cache derrière ses mots. Il lui a offert l’éternité. On a essayé de la gommer jadis mais le dessinateur nous la dévoile restituant du même coup l’attachement durable qui la lie à l’essayiste, journaliste et critique d’art.
C’est un opus inspiré et racé que nous offre le créateur de La guerre des Sambre. Il met en valeur les vers tout en nous offrant une narration captivante bercée d’images et de métaphores puissantes, symboliques et oniriques.
Avec son trait raffiné, spontané et dynamique, il nous offre une vision sulfureuse, provocante, sexuelle, sensuelle et délirante qui aurait sans doute séduit notre traducteur d’Edgard Allan Poe.
Par le biais de couleurs et d’ambiances artificielles, vaporeuses et troublantes l’artiste nous transporte au gré des épisodes et des humeurs dans un univers excitant.
Mademoiselle Baudelaire est un one shot malaisant et convaincant, c’est une proposition originale, habitée et grandiose. C’est aussi une affaire de style où tout est finement choisi. Yslaire impose sa marque, son esthétisme inimitable prouvant si on en doutait qu’il compte parmi les plus grands.
Chronique de Stéphane Berducat