Il se dégage une certaine mélancolie de la couverture du nouveau roman graphique d’Elodie Durand. Transitions journal d’Anne Marbot, a trouvé sa place dans la collection aux multiples facettes « Mirages » des éditions Delcourt. L’éditeur y propose des titres autobiographiques, des fictions, parfois drôles, tragiques, voire cruelles. On y découvre des recueils historiques, des adaptations de romans, des destins de personnages hors du commun, ainsi que des histoires plus engagées. L’émergence au grand jour des mouvements LGBTQIA+, y est largement évoquée : Pommes d’amour, 7 love stories, un collectif avec la participation d’Elodie Durand. Mauvais genre de Chloé Cruchaudet. La lesbienne invisible de Murielle Magellan et Sandrine Revel. Romain et Augustin – un mariage pour tous du trio Thomas Cadène, Didier Garguilo et Joseph Falzon et plus récemment l’incroyable Le jardin Paris de Gaëlle Geniller. Toutes ces parutions nous invitent à ouvrir les yeux sur ces individus qui ne se sentent ni hommes, ni femmes, et qui veulent juste être des personnes.
Ce serait tellement plus simple si on arrêtait de vouloir mettre les gens dans des cases et que l’on accepte que chacun puisse vivre comme il le souhaite. On ne nous fait pas, ou peu, de remarques sur la couleur de nos cheveux ou celle de nos yeux. On peut être grand ou petit. Mais pourquoi faut-il encore à l’heure actuelle avoir des préjugés sur la couleur de peau, la corpulence ou l’attirance sexuelle ? L’autrice a su avec cette bande dessinée décrire avec pudeur et sensibilité ce qui découle de certaines annonces au sein d’une famille. Elle a partagé pendant trois ans, un bout de chemin avec Anne Marbot (non fictif). Elles se sont rencontrées, elles ont répertorié et rapporté les émotions que la maman a ressenties lorsque sa fille de 19 ans lui a fait part de sa volonté d’être un garçon. Elle s’est demandée à quel moment elle a fait une erreur. Qu’a bien pu subir sa fille qu’elle ne sait pas ? Est-elle malade ? Ce sont des interrogations qui ne peuvent trouver réponses dans l’immédiat. Elle doit se remettre en question, s’informer, écouter, être un soutien pour Elsa avant de le devenir pour Alex. Ils ont tous leur propre manière de faire face à cette révélation qui les percute tel un tsunami. Pour sa maman, c’est très dur. Son beau-père le prend avec une certaine philosophie. Ses demi-frères, encore jeunes, avec détachement et le reste de la famille n’aspire qu’à son bonheur. Bien sûr, tout n’est pas tout noir ou tout blanc et le bien-être de la jeune femme reste le plus important.
Il faut s’habituer à sa nouvelle apparence, à ses changements hormonaux. Il ne faut plus la voir comme une femme mais comme un homme, oublier Elsa et dire « bienvenue » à Alex. Anne est emportée par ses craintes et désorientée par ce que sera l’avenir de son enfant. Elle subit une vraie descente aux enfers. C’est avec le soutien de son conjoint et de sa famille, l’aide d’une psychologue et grâce aux recherches engagées pour approfondir ses connaissances sur la transition que la maman entendra que le désir de sa fille pour cette transformation n’est du ni à un effet de mode, ni à l’influence de ses camarades, mais résulte d’un ressenti personnel et profond.
L’album comprend des éclaircissements à propos des démarches qu’entreprennent les jeunes lors de leur transition, mais également des analyses explicites sur ce qu’est le « genre ». Tous ces passages sont soulignés d’une bordure jaune en en-tête. Il y a également un lexique à la fin de l’ouvrage qui permet à ceux qui le désirent de creuser certains sujets.
La bande dessinée est accompagnée d’un graphisme sobre et délicat. Noir, blanc et rose prédominent. Le contenu est parsemé de teintes plus vives, où se déploient toutes les nuances de l’arc-en-ciel. Les coloris qui caractérisent les différentes planches sont en adéquation avec les émotions que la bédéiste aspire à nous faire ressentir lors des bouleversements qui parcourent le corps de notre héroïne et des proches qui l’accompagnent tout au long de ce changement.
Elle signe un récit qui prend aux tripes et qui ne laisse pas indifférent. Ce parcours de vie mène à la réflexion et nous pousse à une plus grande ouverture d’esprit. Si nous arrêtions de parler au féminin et au masculin et que nous nous mettions juste à parler d’humain….
Chronique de Nathalie Bétrix