Idiss est l’adaptation sublime du livre hommage que le juriste et homme politique français Robert Badinter rendit à sa grand-mère maternelle.
Richard Malka et Fred Bernard ont mis en cases un roman graphique important qui restitue finement les intentions de l’essayiste tout en conservant sa discrétion et sa tendresse.
Édité par Rue de Sèvres, il retrace la vie d’une femme qui en raison de ses origines juives n’a pas été épargnée par une histoire impitoyable et cruelle. Le livre relate une destinée singulière livrant du même coup un récit passionnant, puissant et poignant. Il établit le portrait magnifique d’une dame qui traversa les péripéties d’une époque avec beaucoup de dignité.
Elle est parvenue à s’adapter aux obstacles qui se sont mis au travers de sa route suscitant admiration et respect.
Comme des millions de personnes, elle est partie dans le but d’échapper aux persécutions et à la misère. Motivée par l’espoir d’offrir à ses enfants un avenir meilleur, elle a fui l’empire tsariste en direction d’un pays qui suscitait tant d’espoir.
Richard Malka revient sur le parcours migratoire d’une famille qui comme beaucoup d’autres quitta la Bessarabie pour la France. Il clarifie les intentions d’êtres résignés au départ. Il évoque le rayonnement avant-guerre de notre patrie réputée pour sa littérature et sa bienveillance à l’égard des migrants. Il s’attarde sur les conditions offertes, la promesse de sécurité, la possibilité de devenir quelqu’un mais aussi la scolarisation primaire accessible à tous. Idiss y connaîtra avec ses proches de réels moments de bonheur, une ascension sociale méritée et une relative prospérité que ses descendants obtiendront grâce à une exigence constante et un travail acharné.
Mais ces jours heureux ne dureront pas, le nazisme, la défaite française et la collaboration auront raison de ce modèle d’intégration et lui prendront tout. À nouveau, elle connaîtra l’antisémitisme, les humiliations, les spoliations….
Le livre dessiné met en relief le destin tragique d’une population et l’effondrement d’un monde, la faillite d’un état qui renonça trop rapidement à ses valeurs.
Comme le souligne habilement le scénariste, le gouvernement de Vichy adopta dès l’été 1940 les premières mesures xénophobes, antisémites et scélérates perdant du même coup sa fierté et son honneur.
On est absolument bluffé par la prestation inventive de Fred Bernard. Avec son dessin aux formes arrondies, des couleurs resplendissantes gaies et omniprésentes, il apporte de la fantaisie à un texte sombre et émouvant.
Avec ses illustrations légères et délicates, ses phylactères remplis d’une écriture scripte chaleureuse, l’artiste rivalise d’imagination et de technique pour nous surprendre et nous séduire.
À la manière d’Irena, la série désormais culte de Jean David Morvan, Séverine Trefouël et David Evrard, les auteurs ont choisi d’associer une narration dure à un traitement graphique naïf et enfantin. La combinaison s’avère une fois encore pertinente et subtile.
Idiss est un album magnifique à la portée mémorielle immense. C’est un témoignage universel et touchant dans lequel l’ancien Garde des Sceaux reconnaissant rend hommage à la « fontaine d’amour » qu’il aimait tant.
Avec ce one shot convaincant, les bédéistes ont réussi à rendre abordable au plus grand nombre un texte essentiel tirant pleinement profit des importantes opportunités offertes par leur médium.
Chronique de Stéphane Berducat.
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