Le jardin, Paris, sorti dans la collection Mirages des éditions Delcourt, m’a fait l’effet d’un monumental feu d’artifice. Si Gaëlle Geniller n’a pas utilisé de poudre aux innombrables couleurs, elle m’a éblouie avec ses milliers de pétales flamboyants. Ce récit enchanteur et d’une indéfinissable délicatesse restera une de mes plus belles découvertes de ce début d’année 2021 ! En mars 2019, je remarque cette nouvelle autrice avec sa toute première bande dessinée, Les fleurs de grand frère, chez le même éditeur. Elle y raconte la détresse de l’aîné d’une fratrie qui se réveille un beau matin de printemps avec des végétaux qui lui poussent sur la tête. L’artiste y aborde le thème de la différence. Elle m’a marquée par son illustration florale, sa mise en page novatrice et la qualité scénaristique. Ces singularités sont à nouveau mises en avant dans sa deuxième publication. Si son trait semble plus audacieux, ce n’est que pour mieux nous captiver. Il donne au contenu une profonde maturité. On passe d’un livre pour la jeunesse à un autre plutôt destiné à des ados ou des adultes.
Rose, albâtre de presque 18 ans, a vu le jour dans le cabaret parisien « Le jardin » dans lequel chacune des femmes qui travaillent ont un prénom de fleurs. Il est dirigé par sa maman Muguet. On y croise Tournesol, Perce-Neige, Marguerite, Hyacinthe ou encore Jasmin. Dans cette ambiance familiale et bon enfant, Rose va pour la première fois monter sur les planches. Même s’il s’est beaucoup entraîné, ce soir, il a le cœur qui bat à tout rompre. Sa première représentation fut un succès et un homme en particulier a été transcendé par sa performance. Depuis que ses yeux se sont posés sur le garçon, il revient tous les mardis et les vendredis, jours où notre jouvenceau candide monte sur scène. Voyant que l’éphèbe prend de l’assurance, les autres pousses l’amènent à étoffer son show et à se rapprocher de l’un de ses admirateurs. Par un pur hasard, notre adolescent choisit Aimé, le soupirant qui vient l’admirer depuis ses débuts. Sous le charme, l’intrépide courtisan a déjà essayé de le rencontrer plusieurs fois depuis de longues semaines.
Non, ce n’est pas une histoire de plus sur l’homosexualité. N’allez pas chercher un discours qui se voudrait choquant ou revendicatif. Tout ceci est simplement magnifique et intelligent. Elle met en avant deux personnes qui, avec du temps et de la patience, vont se découvrir un amour profond. J’ai longtemps redouté au fil de ma lecture qu’elle débouche sur un événement terrible et que ceci ébranle cette pureté ce qui ne fut pas le cas. Gaëlle Geniller est indéniablement une créatrice d’une extrême sensibilité. Cette bande dessinée peut paraître naïve voir un peu simplette, il n’en est rien. J’ai aimé ce côté naïf, léger, romantique et fabuleusement velouté. Oui, l’amoureuse des titres sanguinolents et sombres que je suis, s’est laissée assiégée par toute cette innocence et bienveillance.
Le florilège d’illustrations en pleine page est de toute beauté. Si le rouge prédomine tout l’album, il est enrichi de passages tirant sur des colorations sables, vertes ou bleues. Toutes ces nuances, parfois, se mêlent et s’entremêlent pour donner à l’ouvrage une composition chaude et particulièrement raffinée. L’illustratrice a su mettre en avant cette richesse artistique des années 1920, que j’affectionne tellement : l’art déco. Un soupçon du brillantissime Erté. La force douce de Tamara de Lempicka et le côté végétal du très grand René Lalique.
Si vous n’avez pas le moral, rendez-vous vite chez votre libraire acheter Le Jardin, Paris. Bien mieux que tous les médicaments proposés par votre apothicaire et surtout sans effets secondaires…
Chronique de Nathalie Bétrix