Kurt Busiek et John Paul Leon nous entraînent dans un récit ou le chevalier noir franchit le quatrième mur pour être transposé dans le monde physique. Batman Créature De La Nuit repousse les limites entre concret et fictif chez Urban Comics.
Bruce Wainwright habite à Boston à la fin des années soixante. Enfant, il vit avec ses parents Henry et Carole. Il dévore les aventures trépidantes de son personnage favori Batman. Malheureusement, comme le héros, il perdra sa famille lors d’un cambriolage à son domicile. Étant le seul survivant de cette tragédie, il sera confié aux bons soins de son oncle Alton Frederick, Al…Fred. L’inspecteur Hoover Gordon enquêtera sur la mort de ses proches. Malgré tout, Bruce grandira et deviendra PDG de Wainwright Investissements. Il prendra sous son aile Robin Helgeland, juvénile orpheline qui aura vécu tout comme lui la perte de sa mère et de son père. Beaucoup de concordances avec le super-héros de Gotham City.
Bruce désire surmonter cette épreuve traumatisante. Seulement, une visite au zoo va s’achever par une attaque massive de chiroptères fuyant leur cage avec l’enfant sur leur passage. De ce fait, une mystérieuse forme noire prendra l’apparence d’une chauve-souris géante menaçante pour faire régner l’ordre dans les rues du Massachusetts. Ce démon au regard rouge vif, connecté à son hôte Wainwright s’abat sur les criminels. Mais la réalité s’éloigne de la fiction. Bruce devra assumer chacune de ses actions à travers sa « gargouille » et comprendre qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Adage d’un célèbre oncle Ben… Cette quête mérite-t’elle d’être vécue quand on navigue dans une société pourrie jusqu’à la moelle où une action entraîne une chaîne de réactions qui ne font qu’empirer les choses ? Cela reste un cruel dilemme. Et c’est au jeune Bruce à travers l’apparition de son fantôme vengeur, de se poser les bonnes questions.
Kurt Busiek joue avec l’imagerie super-héroïque. Le scénariste parachute les concepts de l’imaginaire dans le réel. Bien loin des fins grandiloquentes et des happy-ends joyeux, que les choix soient bons ou mauvais. L’auteur mène une exploration sur les conséquences réalistes d’une justice urbaine fantasmée. Ce qui amène l’histoire sur des territoires d’intrigues à la fois nuancées et terre à terre. De par son traitement, ce titre gagne en émotion et en dramaturgie.
John Paul Leon coordonne toute la partie graphique du dessin jusqu’à la couleur. Cet illustrateur est un grand maître de l’ombre. Son art de l’esthétisme respire le glauque et la pénombre. Un trait anguleux et une ligne épaisse qui rappellent furieusement le style employé par Michael Lark sur Gotham Central. Une illustration tamisée qui joue beaucoup sur l’intensité et l’absence de lumière, elle-même renforcée par un encrage solide et maîtrisé. Pour les cadrages, les vignettes restent sobres et tout en retenue. Pas d’effet « splash », la simplicité est employée de manière très efficace et fluide pour l’œil du lecteur. Quant aux coloris, les teintes s’étalent à l’aide de grands aplats de nuances opaques afin de rester dans le ton alarmant du livre.
Batman Créature De La Nuit est un elseworld, une narration alternative adaptée de manière tangible. Une lecture spectrale à la délectation abyssale qui nous laisse l’ étrange sensation de sentir la présence du croquemitaine par-dessus notre épaule. C’est une bande dessinée frissonnante.
Chronique de Vincent Lapalus