Le rapport W

Le Rapport W est un témoignage impeccable édité par Daniel Maghen, une proposition d’artiste originale et un travail historique de qualité. Après avoir réalisé deux récits humains qui côtoient l’Histoire, Gaëtan Nocq a accepté la proposition d’ Isabelle Davion d’adapter en Bande dessinée l’expérience de Witold Pilecki. Cet officier de l’Armée secrète polonaise infiltra le camp d’Auschwitz en septembre 1940. Il avait pour mission d’ y organiser un réseau de résistance chargé de renseigner l’extérieur afin de préparer une potentielle insurrection. Cette rencontre déterminante a conduit le bédéiste à se plonger consciencieusement dans la documentation.
Pour s’imprégner et dégager un point de vue d’auteur, il s’est rendu sur place afin de faire un état des lieux avec un regard scientifique. Il a aspiré au passage toute la charge émotionnelle et porté une attention particulière à l’environnement du camp. Il a fait des choix importants dans les rapports, sélectionné les passages pertinents puis imaginé les dialogues. Il s’est également rendu au musée de l’armée de l’intérieur à Cracovie pour observer quelques archives.
Il a ensuite composé son personnage principal à partir des éléments en sa possession. Il a mis en scène un soldat à la volonté de fer, déterminé à atteindre son objectif. C’est un héros avec ses doutes, sa sensibilité qui a essayé d’aboutir à une rébellion et qui s’est néanmoins résigné à l’évasion réalisant avec justesse que toute révolte était vaine sans une aide extérieure. D’autres tentatives s’étaient préalablement soldées par des échecs retentissants.
La narration s’ouvre sur l’arrivée de l’officier à Auschwitz en septembre 1940, elle couvre son évasion du camp dans la nuit du 26 au 27 avril 1943 jusqu’à ses derniers jours et sa fin funeste. Ironie du sort, l’homme qui a combattu le nazisme sera victime d’un autre totalitarisme en 1947. Le rapport W est le nom du premier rapport qu’il rédigea après son évasion, c’est un texte de 10 pages aujourd’hui conservé en Pologne dans lequel les noms sont judicieusement cryptés. Le détenu en envoya plusieurs de ce type lors de son incarcération, des exposés factuels dont on ne connaît pas le nombre exact.
C’est un récit d’espionnage incroyable et complexe que met en cases l’auteur décrivant comment l’agent a lentement tissé sa toile composant finalement un impressionnant réseau qui aurait compté en 1942 près de 800 membres. Il signe un huis clos captivant avec aussi des échappées. Il a mis en place un découpage très réfléchi qui inclut des flashbacks, installe un bel équilibre entre le texte et l’image et aboutit à un rendu fluide et immersif.
L’artiste déplace les masses, il se démarque par une démarche picturale et des couleurs omniprésentes. Il installe une mécanique qui apporte de l’action, du rythme ou qui laisse parfois le champ libre à la contemplation. Parfois, il varie les effets, efface les décors pour mettre au centre de l’histoire l’humain et la dimension psychologique
Pour le traitement graphique il a décidé de privilégier une base de bleu et de rouge produisant des couleurs tantôt dures, non naturalistes pour symboliser l’irréel, le cauchemar, l’incarcération et tantôt douces lorsqu’il est question des souvenirs de l’officier et des moments de liberté. L’alternance des couleurs génère un saisissant contraste vecteur d’émotions envahissantes qui aspire le lecteur, le saisit, l’ entraîne, l’embarque du début à la fin.

Le rapport W est un livre important avec lequel son auteur enrichit l’ apport historique d’ une dimension artistique singulière. C’est un opus précieux et effroyable qui prouve que même en enfer des hommes s’érigent avec abnégation et courage pour que d’autres aient une vie meilleure. C’est un bel hommage qui a le mérite de mettre en relief un personnage malheureusement trop vite oublié comme le furent pendant des années dans une autre mesure les civils Irena Sendler et Oskar Schindler. C’est aussi une porte d’entrée intéressante et neuve pour les personnes qui souhaitent en connaître davantage sur l’univers concentrationnaire. Il est complété par un dossier dense et captivant en fin d’opus qui apporte de nombreuses réponses et devrait combler les plus érudits.

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