No direction est un one shot imaginé par Emmanuel Moynot et édité par Sarbacane. C’est une ballade sombre dans laquelle le bédéiste et musicien fusionne astucieusement ses passions. Il a eu l’excellente idée de réunir certaines de ses chansons dans une narration captivante et noire entre road trip, histoire de serial killer brillante et récit choral magnifique.
Il nous propose d’accompagner deux jeunes adultes dans une cavale effrénée et sanglante.
Ils se sont rencontrés par hasard mais leur association était évidente. Ils sont le fruit d’une violence sociétale à l’origine de leurs comportements déviants. Jeb est un garçon abusé qui s’acharne à tuer des pédophiles qu’il mutile. Bess, sa compagne est une demoiselle qui a sans doute dû faire face aux assauts de son oncle. Ensemble, ils traversent les États-Unis d’est en ouest de la Caroline du Nord jusqu’à la Californie. Ils ont à leur trousse l’agent Colleen Thompson une inspectrice du FBI charismatique, libérée et très déterminée. Ils croiseront la route de Maxine une mère isolée qui fuit avec ses enfants un drame familial et d’autres personnages, des invisibles qui se débattent dans l’Amérique de Trump. Il y a tous les ingrédients nécessaires pour embarquer le lecteur : des motos, du sexe, des rencontres….
Ce sont des personnages cabossés que met en scène Emmanuel Moynot. Jeb et Bess perpétuent des crimes qui sont une sorte de réponse à la brutalité institutionnelle et sociétale qu’ils subissent. C’est un récit qui ne fait pas de quartier. Il est dynamique et féroce, intense, cynique, mordant et terriblement addictif.
L’auteur aux 36 années de carrière propose à ses lecteurs un exposé des choses qui le touchent et le révoltent. Il a puisé pour la forme dans ses influences littéraires et en particulier dans les romans de Jim Thompson et ceux de Donald Ray Pollock. Pour crédibiliser l’opus, il l’a découpé en chapitres qui font penser à des plages musicales. Ils portent tous le nom des morceaux qu’il a composés. Ils sont tous réunis sur un site qu’il mentionne à la fin du copieux one shot . Pour lui donner un aspect américain, il a entrecoupé les épisodes avec des fausses couvertures de comics colorés. Elles tranchent avec une forme de bichromie immédiate en référence aux bds de son enfance, un parti pris qui a le don de désarçonner et surprendre.
Coté dessin, il a opté pour un retour aux pinceaux et à l’encre de Chine idéals pour les hachures noires et les aplats de couleurs : Des outils adaptés et un savoir-faire qui offrent un rendu fluide et élégant.
No direction est un ouvrage excitant, une fuite macabre qui mérite pleinement le prix du polar SNCF remis cette année à Angoulême. C’est aussi un album ingénieux qu’il faut lire plusieurs fois pour en saisir toutes les subtilités. Emmanuel Moynot nous embarque complètement. Il partage sa vision d’une Amérique qu’il a visité à maintes reprises, un pays qui l’habite entièrement soulignant son injustice endémique et plus globalement la noirceur de l’humanité. Il dispense toutefois au passage de fines notes d’optimisme.
C’est du haut niveau comme toujours avec cet artiste. Du lourd ! Du très lourd !