La rage. Falloujah: ma campagne perdue édité par Steinkis est un cri de douleur. Feurat Alani est journaliste. Il collabore avec Arte, France 24 et d’autres chaînes étrangères. Halim, vogue entre le dessin de presse et la bande dessinée. A son actif, Arabico , aux éditions Soleil qui figure parmi les dix meilleurs livres d’actualités et de reportages et qui est malheureusement épuisé à ce jour. Suivra Un monde libre aux éditions Des ronds dans l’O. Enfin, le titre qui m’a particulièrement touchée à sa sortie en 2017, Petite maman chez Dargaud. La terrible histoire d’une enfant martyrisée par sa mère et son beau-père. Rien que d’y repenser, j’en ai des frissons…
Dans ce nouveau récit illustré par Halim, on retrouve une fois encore des enfants violentés par la bêtise humaine. Le 28 avril 2003, tout commence par une sorte de malentendu. Des soldats, des femmes qui pensent être à l’abri des regards et enfin des maris, voisins, qui voient dans l’intrusion de ces étrangers un œil malveillant et déplacé. Les visions de deux mondes fondamentalement opposés… Quelques jours plus tard les Américains font le siège de la ville de Falloujah. Des centaines de morts et des milliers d’autres déplacés. La pire des horreurs vient de commencer.
Feurat, enfant insouciant, se rendait régulièrement dans cette ville pour y passer des vacances. Il y était heureux au milieu de ses cousins et ses oncles. La vie était douce et parfois ennuyeuse. Il y avait le marché, où tout le monde se salue, les matchs de foot et le jour où on lui présente sa première arme. Auprès d’eux, il découvre le sens de l’honneur et l’esprit de famille. Rien ne le prépare à ce qui va suivre. En 2004, suite au lynchage de quatre employés d’une société militaire, des soldats américains lancent l’opération « vigilant resolve » sur Falloujah.
Feurat, devenu adulte retourne à Falloujah. Il y retrouve ses oncles et « Bibi Sama » LA patronne. Si son retour est possible, c’est grâce aux siens qui ont réussi à le faire passer, le cachant aux yeux des Américains. Les hommes vont le faire traverser plusieurs quartiers, qui ressemblent à des paysages lunaires. Il prend conscience de tout ce que cache le conflit. Le jeune homme va se retrouver face à l’abomination que les dirigeants tentent d’étouffer. Des enfants meurent, naissent avec des difformités : sans bras, avec deux têtes ou sans organes oculaires… Des centaines de malformations. Les recherches du journalise le conduisent aux Etats-Unis où il va découvrir que là-bas aussi des choses étranges se passent. Des soldats revenus de cette guerre, ont également des séquelles. Leurs enfants naissent avec de graves déformations. Quand son enquête l’amène du côté de Boston, il retrouve des vétérans qui n’ont plus envie de se taire ! Nombreux de ses militaires revenus d’Irak, ont des enfants nés avec des infirmités… Eux-mêmes vivent avec des problèmes de santé. Au long de ses recherches il prendra conscience que ce qui s’est passé à Falloujah, a des conséquences plus considérables que ce qui a suivi les deux bombes nucléaires lâchées sur Hiroshima et Nagasaki lors de la deuxième guerre mondiale, au sud-est du continent Japonais. Il le sait, il en est sûr, ce n’est pas le phosphore blanc, mais l’uranium appauvri, ou, qui sait, d’autres substances encore, qui sont la cause de toutes ses déformations… On parle bien d’armes chimiques !
Ce récit est poignant, dur et déprimant. Écrit et dessiné avec rage, il m’a pris aux tripes et m’a scandalisée. Comment peut-on, après ce qu’il s’est passé pendant la seconde guerre mondiale, utiliser encore de telles armes ? Halim par son dessin doux et tourmenté, souligne toute la souffrance de ce peuple martyrisé. Je ne peux pas rester insensible à une telle injustice. Ce sont des enfants, des civils, qui ont subi, une fois encore, la haine déplacée d’un conflit.
Force à ces deux auteurs, qui nous amènent à lire avec délicatesse, un sujet morbide et injuste. Il y a eu bien des guerres avant cet affrontement et chacun a apporté son lot d’infamie et de laideur. Lors des recherches qui ont permis de créer la bombe atomique, des « cobayes » ont été utilisés, sans leur consentement. Des scientifiques leur ont injecté du plutonium pour connaître l’effet que ce dernier infligera au corps humain. La guerre du Vietnam (1961 à 1971), a elle aussi été un immense gâchis. Ici, ce fut un défoliant (herbicide arc-en-ciel) au « doux » surnom d’agent orange. Il fut largement déversé par l’armée des Etats-Unis et répandu principalement par avion sur les forêts et les champs du peuple Vietnamien. Ces attaques vont faire des dégâts inconcevables sur la santé des enfants à naître… Par le caractère de ce témoignage, j’espère, encore, que l’humanité deviendra moins mauvaise. Qu’elle se rendra compte du mal qu’elle fait à des innocents qui n’ont rien demandé…
Un titre qui fera certainement réfléchir et qui aidera, peut-être, à faire mieux à l’avenir…
Chronique de Nathalie Bétrix