Jakob Kayne est l’uchronie fantastique qui séduit à coup sûr. Cette trilogie imaginée par Sylvain Runberg, dessinée par Mateo Guerrero et éditée par Le lombard est l’excellente surprise du moment.
Créée lentement par le prolifique scénariste, elle apporte un souffle épique et rafraîchissant tout en rendant un bel hommage aux grands récits d’aventures.
Avec ce second volet intitulé Le maître de l’oubli l’auteur nous prouve que son opus liminaire La Isabella n’était ni un ovni, ni un coup de chance.
Chaque album poursuit une idée simple : une histoire, une île, une infiltration périlleuse au cours de laquelle deux frères, des héros positifs et assez classiques doivent se débrouiller pour venir en aide, protéger et soigner des gens en détresse qui font appel à eux. Ce sont des médecins, les seuls rescapés d’ un peuple de guérisseurs: les hippocrates dont ils perpétuent la tradition. Samuel, le frère cadet aveugle est l’alchimiste qui compose les potions et Jakob celui qui les administre. C’est un guerrier, il a le terrible don de ne pas être reconnu car c’est un mange-mémoire.
Dans le premier album, la fratrie porte assistance à une famille dont la fille est malade. L’action se déroule dans une ville espagnole en proie à une épidémie de choléra et assiégée par l’Armada Omeykhim. Le second tome est nettement moins moral et délicieusement plus complexe. L’action y est bien présente, les combats se déroulent sur tous les terrains. Jakob est déterminé à secourir la femme qu’il a précédemment guéri et pour laquelle il a eu un coup de foudre. Elle a subi un revers de fortune et est captive, emprisonnée dans le harem du sultan avec sa mère. Bien qu’elle n’ait pas fait appel à ses services et que son frère tente de le dissuader, il est obnubilé, déterminé et prêt à transgresser toutes les règles en vigueur. Sa conduite est discutable et sa démarche égoïste. L’aventure s’annonce risquée, psychologique et mystérieuse. Sylvain Runberg place son intrigue dans une époque inspirante, aux alentours du 17 ème siècle, une période qui rappelle le fabuleux Scorpion de Marini et Desberg. Comme lui, Jakob Jayne est charismatique et courageux, il a le physique du moment et les tenues qui correspondent. Mais l’auteur a surtout composé un univers maritime somptueux, introduit un peu de magie et au fil des pages une dose de surnaturel avec des hommes poissons monstrueux et inquiétants dont les intentions sont parcimonieusement dévoilées.
Si l’histoire semble à première vue assez traditionnelle, on s’aperçoit très vite qu’elle ne l’est pas ce qui est assez déroutant compte-tenu des indications délivrées d’emblée aux lecteurs par le biais de couvertures magnifiques qui remémorent les livres anciens.
Après les adaptations, les thrillers, la SF, les histoires anthropomorphiques, d’anticipation, des polars, l’auteur nous surprend encore démontrant une fois de plus son aptitude à développer des récits captivants et variés.
Côté dessin, Matéo Guerero étonne pas sa technique. Il capte l’œil avec un découpage immersif, varié et dynamique. Ses cadrages sont justes et sa démarche très cinématographique. Son trait est spectaculaire ultra- détaillé et splendide.
Assisté de Javi Montes et Ludwig Olimba, il est parvenu à créer des ambiances qui apportent à la narration du rythme et de la tension. Les scènes nocturnes et maritimes sont fascinantes.
Le maître de l’oubli est une épopée prenante, un joli clin d’œil aux romans de Jules Verne. Jakob Kayne est une création originale, un divertissement de qualité et pour le moment chaque épisode tient toutes ses promesses. Ce second opus nous laisse sur un cliffhanger redoutable laissant entrevoir une conclusion intéressante.