Stéphanie Trouillard, journaliste et Thibaut Lambert, scénariste et dessinateur de BD, nous font découvrir le destin tragique de Louise Pikovsky et de sa famille. Une fois encore les éditions Des ronds dans l’O donnent forme à un récit de vie, si cher à leur catalogue.
Il y a 4 ans, en 2016, Stéphanie Trouillard est contactée par une professeure du lycée Jean de La Fontaine, Khalida Hatchy. Celle-ci la met en contact avec une enseignante de mathématiques, Christine Lerch, qui a trouvé dans le lycée une enveloppe kraft qui contient des lettres. Elle y découvre la correspondance de Louise Pikovsky et de sa professeure de latin, Anne-Marie Malingrey, au cours de l’été 1942. On y trouve également un dernier mot daté du 22 janvier 1944, jour où Louise est arrêtée avec sa famille… C’est le début pour l’auteur d’un grand travail de recherche. Il faut contacter les proches, les anciennes camarades de classe et faire des investigations dans les archives du Mémorial de la Shoah à Paris. En mars 2017, paraît un web document sur France 24 où Stéphanie Trouillard travaille en tant que journaliste. Lui vient alors l’idée de mettre ce reportage sur papier ! Pour toucher un plus vaste public, la journaliste amatrice de bandes dessinées, se tourne bien évidemment vers ce support. Des amis scénaristes lui conseillent de prendre contact avec les éditions Des ronds dans l’O . Voulant faire un ouvrage accessible, elle souhaite trouver un dessinateur au trait doux et coloré. L’éditeur lui présente Thibaut Lambert. Le jeune homme a déjà écrit et illustré trois récits chez eux, aux sujets pertinents ! Au coin d’une ride , sur la maladie d’Alzheimer ; De rose et de noir, qui traite des violences conjugales (réalisé en bichromie rose et noir) et en 2019 L’amour n’a pas d’âge, un album touchant, qui démontre que l’on peut s’aimer à tout âge. Le recueil qui ponctue cette rencontre est d’une grande force et sa lecture agréable. Cela tient en grande partie aux « quatre chapitres » qu’il contient, mais également à sa composition. Thibaut a utilisé un lavis d’encre de chine et réalisé ensuite les couleurs à l’ordinateur. Cette technique lui permet de donner à chaque planche plus de profondeur et de douceur. Notamment grâce au rendu de l’eau. Il en ressort une atmosphère moins froide et les couleurs qui malgré la gravité du sujet ajoutent de la chaleur !
A Paris dans les années 80, Anne-Marie Malingrey a invité chez elle, pour prendre le thé, quelques-unes de ses anciennes élèves. Il y a déjà quarante ans qui ont passé. Elle qui n’a jamais eu d’enfants, les voit comme ses propres filles. Le seul regret qu’elle a et dont elle n’a que peu parlé est l’absence de Louise Pikovsky. La maîtresse possède encore dans son petit appartement, le cartable de la jeune fille. Quand elle le sort pour le présenter à ses invitées, les souvenirs resurgissent.
Très bonne élève, Louise a suivi ses cours entre 1941 et 1943. Toujours de bonne humeur, elle aime aider ses camarades. Curieuse, la jeune fille a soif de connaissance et pose beaucoup de questions. Cela ne plaît pas à toutes les étudiantes. Quand la chasse aux juifs commence, l’enseignante lui propose de la cacher des nazis. Son père, arrêté une première fois à Drancy, a toujours dit qu’ils seraient plus en sécurité s’ils restaient tous ensemble. Les semaines, que l’homme a vécu séparé des siens, font qu’indéniablement il ne peut s’imaginer que cela se reproduise encore une fois. Pour cette raison, l’adolescente n’a pu ou n’a pas su accepter cette invitation. Entre la fierté de leur origine et l’incompréhension face à la situation, cette famille est soudée plus que tout. En février 1944, ils furent déportés et gazés dès leur arrivée à Auschwitz. Louise avait 16 ans et toute la vie devant elle…
Dans le lycée, Jean de La Fontaine, à la découverte des lettres, une grande prise de conscience a eu lieu face à ces horreurs. Professeurs et élèves tiennent à rendre honneur à Louise et ses camarades. Un hommage est organisée où les enfants lisent les lettres et une plaque est installée au sein de l’école en mémoire des jeunes filles. Elles avaient entre 12 et 17 ans.
L’ouvrage se termine avec un dossier réunissant les lettres de Louise, des photos d’elle et de sa famille, ainsi qu’un historique, simple mais instructif, des Pikovsky. Il aurait pu contenir aussi cette phrase que la jeune fille a souvent médité « On ne m’a pas pris ma richesse… car ma richesse est en
Moi » !
Chronique de Nathalie Bétrix