Le château des animaux est une fable animalière scénarisée par Xavier Dorison et illustrée par le jeune prodige Félix Delep.
Éditée par Casterman, la série prévue en 4 épisodes correspondant chacun a une saison est un hommage assumé au succès de Georges Orwell La ferme des animaux, un roman visionnaire dans lequel l’écrivain britannique prévoyait à raison la chute du régime soviétique tout en dénonçant avec finesse ses incohérences.
Xavier Dorison a été comme beaucoup marqué par ce chef d’œuvre. Il a lu plusieurs fois cette dystopie qui le fascine. Depuis, il a rencontré l’ouvrage de Srdja Popovic un révolutionnaire serbe pacifiste puis imaginé un grand récit dans l’esprit des Aristochats qui se déroule dans un château en construction où les hommes ont pour des raisons inconnues déserté. La tyrannie règne, l’exploitation est la norme et la violence un fléau. Le taureau Silvio y exerce sa toute puissance brandissant pour légitimer la répression la menace d’un danger extérieur. Il est secondé par des chiens fidèles et sans pitié.
Dans ce premier opus, intitulé Miss Bangalore, Xavier Dorison pose le cadre et l’intrigue. L’album s’ouvre sur un carnage pluvieux et s’achève sur un bain de sang : rien ne va plus dans la demeure et il n’est pas bon d’y émettre la moindre critique.L’ensemble des animaux y fait le dos rond même si la supercherie y est de plus en plus flagrante. Avec des personnages anthropomorphes superbes, l’auteur facilite l’identification imaginant un conte universel et intemporel captivant.
Au fil des planches, il nous présente des personnages dont le tempérament est parfaitement cohérent avec leurs caractéristiques physiques. Si le taureau est massif et dominateur, les chiens sont impitoyables et menaçants, le chat lucide, habile et pragmatique La terreur est à son comble jusqu’à ce qu’un rat itinérant et donneur de spectacles trouble cet équilibre nauséabond en insinuant l’humour.
Si Azelar le rongeur est le déclencheur d’une rupture, il y en a d’autres qui apportent à la narration une plus value précieuse. César, le lapin gigolo qui ressemble à Clarke Gable n’est pas qu’un faire valoir. Extrêmement attachant, il draine aussi une bonne dose d’humour et de générosité.
Le scénario est bien ficelé et le découpage efficace. Il s’enrichit de quelques cases arrondies du plus bel effet et de cadrages intéressants.
La prestation graphique est une réussite totale. Après être fraîchement diplômé de l’école Emile Cohl où il a eu l’occasion de suivre les cours de l’auteur et avoir publié un récit animalier de 8 pages pour le journal Spirou, Félix Delep s’est retrouvé embarqué dans cet excitant mais vaste projet.
Pour cet opus liminaire, il a été confronté à un challenge de taille: produire 66 planches dans un délai limité, une charge de travail qui nécessita l’évolution constante de sa technique, une performance d’autant qu’il ne renonça en rien à la qualité de ses planches.
Malgré la pression et sa jeunesse, il livre un dessin somptueux qui reste le point fort de ce volet.
L’évolution du physique de ses personnages est assez notable, en particulier celui du lapin et du chat que l’auteur a peaufiné au fil des pages.
Chaque bête est ultra-détaillée et les premiers rôles sont ingénieusement affublés d’un signe distinctif précis.
Les couleurs numériques réalisées par le dessinateur assisté de Jessica Bodard sont belles et immersives.
Seul bémol, la taille du texte qui nécessite une excellente vue ou une bonne paire de lunettes.
Miss Bengalore est une très belle surprise. C’est un album copieux et prometteur qui laisse au lecteur une forte impression. Vivement la suite programmée en octobre !