Notre part des ténèbres est l’adaptation en Bande dessinée d’un roman militant, anti-capitaliste et radical de Gérard Mordillat.
Elle est réalisée par Eric Liberge pour les Éditions Les Arènes qui ont eu la bonne idée de commanditer cet album mordant à un moment où la tension sociale en France est à son paroxysme.
Depuis quelques années, l’écrivain et le dessinateur exercent conjointement leurs talents sur la série Le Suaire chez Futuropolis et le résultat est divinement efficace. Il était naturel qu’ils poursuivent leur collaboration avec ce one shot très contemporain.
Dans ce livre paru en 2008, on retrouve le regard acéré et critique d’un auteur engagé qui est également cinéaste et signataire de l’appel intitulé « Nous ne sommes pas dupes » en soutien au mouvement des gilets jaunes.
Dans ce copieux pavé, il nous invite à suivre les salariés de Mondial Laser, une entreprise de pointe dont le personnel vient juste d’être licencié au profit d’une opération spéculative. Humiliés, abîmés, des hommes et femmes animés par une soif de vengeance décident de devenir des pirates. Ils prennent le contrôle d’ un splendide navire le Nausicaa dans lequel les actionnaires et leurs invités célèbrent fastueusement le jour de l’an et une année de bénéfice records. L’opération a été minutieusement préparée et ils sont prêts à tout pour arriver à leur fin.
L’artiste a digéré ce pamphlet dans lequel il a fait des coupes franches et recentré la narration sur quelques personnages. Soucieux de ne pas travestir l’ouvrage, il a reproduit le texte original à la ligne prêt.
Il a effectué un important travail de mise en scène qui restitue la vitalité et la fougue d’un scénario conçu comme un film d’action.
On retrouve son processus de réalisation cinématographique et singulier.
Ses planches abouties, réalistes et ultra-détaillées nous immergent complètement et nous régalent. Il a poussé les gammes chromatiques restituant parfaitement les atmosphères que l’écrivain déploie. On est embarqué et aspiré par ses couleurs directes réalisées à l’encre.
Il sert avec talent un texte émouvant qui égratigne brillamment notre monde du travail et le culte omniprésent de l’argent.
Notre part des ténèbres est un thriller haletant, insurrectionnel, captivant et jubilatoire qu’Eric Liberge a transformé en un roman graphique magnifique. On ressort de la lecture écœuré, bouleversé mais conquis.