RATURES INDÉLIBILES

Harcèlement des femmes ou par un collègue, homophobie, racisme, grossophobie… Les mécanismes sont au fond les mêmes, et se mettent en place dès le collège, voire avant. Exclusion du groupe, insécurité, violence subie, qu’elle soit verbale ou physique. La bande-dessinée Ratures indélébiles, parue aux éditions Jungle, nous immerge dans la spirale infernale, vécue par une collégienne, Juliette, et amplifiée, comme souvent désormais, par les réseaux sociaux. La scénariste, Aurelle Gaillard, a enseigné quelques années au secondaire. Choquée par la brutalité des messages envoyés entre adolescents, par le silence des victimes, elle a souhaité lever le voile sur ces comportements inacceptables, en un récit immersif qu’on a du mal à lâcher – à lire et faire lire dès l’entrée en 6ème. Camille K a travaillé sur une mise en dessin contemporaine en noir & blanc franc, où le violet apporte avec justesse et dynamisme toutes les nuances des ressentis et émotions des adolescents, souvent extrêmes.

Juliette entre en 4ème, avec son amie Mathilde. Elle est séparée d’une partie de ses amies, moquée par Karine, une redoublante sur la mauvaise pente… Mais surtout, Mathilde se fait une nouvelle copine, papillonne avec une bande de garçons dont la vie tourne autour du football… Imperceptiblement, Juliette est mise à l’écart. Et puis, dans les vestiaires d’un cours de gym, une photo est prise. Et très vite, sur les réseaux sociaux, c’est l’emballement. La honte augmente à chaque partage… Et les jours qui suivent, moqueries et petites agressions s’enchaînent. Les dialogues deviennent plus incisifs. Alors Juliette se renferme encore un peu plus, et les notes plongent… Les vacances sont une bulle de protection, portable coupé, avec l’espoir – vite douché – que tout soit oublié à la rentrée. A force de se sentir rayée de la carte, notre collégienne finit par s’infliger des ratures, indélébiles… L’histoire se termine heureusement sur un conseil de discipline, l’exclusion temporaire de plusieurs élèves, une campagne de sensibilisation… Mais aussi un changement d’établissement, pour pouvoir vraiment tourner la page. Nous rappelant l’intensité du traumatisme vécu – qui conduit encore trop souvent au suicide.

Dans cet album aux tonalités uniques, le violet des planches, qui va jusqu’à les envahir par moment, est vibrant, de colère, de honte, de tristesse. Il représente le gouffre dans lequel les victimes se sentent plongées. Alors les bordures deviennent cassantes, ou le découpage explose, pour mieux rendre les pages oppressives. Le décor vacille lorsque les forces intérieures basculent, face aux paroles blessantes pour Juliette, ou à la vérité de sa fille atteinte dans son intégrité pour sa mère. Le dessin sait aussi transcrire les effets de groupe, et d’isolement, les expressions des visages et des corps. La BD reste très lisible grâce à un choix judicieux et équilibré d’accessoires et de décors. L’ensemble, au plus proche du vécu adolescent, reste imprimé dans la rétine.

Les attitudes inappropriées sont encore bien trop fréquentes. N’oublions pas, par exemple, que les cours d’école sont un lieu d’homophobie généralisée : un homosexuel sur deux est harcelé au collège. Et les effectifs des infirmières scolaires sont insuffisants. Chacun doit être vigilant, parents, équipe éducative, adolescents… Le livre se clôture sur des fiches très utiles pour savoir quoi faire, que l’on soit victime ou témoin. Agissons !

Chronique de Mélanie Huguet – Friedel.

© Éditions Jungle, 2022.

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