Et si le dérèglement climatique rendait inhabitable le sud de l’Europe ? Les éditions Grand Angle récidivent pour ce pitch original mais qui pousse, l’air de rien, à réfléchir ! Louis fait partie des nombreux propriétaires dont une partie de l’appartement a été réquisitionnée. Après un premier volume consacré à l’arrivée de toute une famille espagnole, répartie dans l’immeuble, David Ratte (que l’on apprécie beaucoup) approfondit, dans le deuxième et dernier tome de Réfugiés climatiques & castagnettes, les relations entre les personnages : cohabitation avec Maria, grand-mère habitant chez le jeune homme, liens au sein de la famille, entre voisins… Une chronique sociale intéressante prend forme sur fond de transition européenne, à rebours des craintes et des préjugés. Mateo Ratte œuvre toujours aux côtés de son père David Ratte pour la mise en couleur, tout en finesse.
La première page, poignante et très forte, nous dévoile que l’enfance de Maria n’a pas été facile. Orpheline de ses parents, elle a très tôt été embauchée pour des ménages, et n’avait personne à ses côtés à son mariage. Veuve, elle n’en a que davantage apprécié ses enfants et petits-enfants. Comme ils sont partis en Allemagne travailler, il lui faut évidemment un forfait pour les appeler. Et quelqu’un pour l’accompagner dans ses sorties. Bien que Louis angoisse et s’énerve, il s’exécute, et la bonne humeur de Maria produit son petit effet communicatif.
Alors que la mère de Louis et son ex se complaisent dans un entre-soi aux relents xénophobes qui fait s’indigner – à raison – Charlène, sœur de Louis, leur père atterrit aux urgences. Et le huis clos de violence envers sa femme dont se rend coupable depuis des années le voisin aigri explose au grand jour. La solidarité et le courage dont font preuve notre protagoniste suffiront-ils à dénouer ce drame ? L’issue est pour le moins inattendue, et Maria parvient à faire changer plusieurs personnes, pour le meilleur.
A touches subtiles, le traitement graphique, toujours fin et naturel, nous rappelle le côté incongru de la situation, et le sentiment d’étrangeté que ressent Maria, comme si elle flottait un peu, loin de ses proches, de son pays et de son passé. Cela prend la forme de son manteau rose, dénotant joyeusement dans la grisaille ambiante, et de méduses apparaissant dans certaines cases. Elles traduisent aussi des moments de malaise. Chacun sort de sa zone de confort, et cela se voit sur les visages, aux traits transcrivant parfaitement les diverses émotions. Les moments sans parole nous dévoilent les non-dits : la colère qui déborde, les regrets, l’empathie aussi. La lecture est agréable, agrémentée de détails réalistes, mais aussi d’autres qui prêtent à sourire et apportent de la légèreté à des sujets difficiles.
Le story board est saupoudré de cases d’actualités, pour ne pas oublier l’étendue de ce qui se passe – et pourrait nous arriver : pollution généralisée, montée des eaux qui continue en Espagne, clivages sociaux, extrémistes aux airs de Ku Klux Klan faisant froid dans le dos. Plonger dans le quotidien de Maria, apprécier son comportement humaniste, c’est tordre le cou aux idées reçues sur l’immigration, la voir comme une chance. Car la rencontre de l’autre nous bouscule, mais nous enrichit et nous fait grandir – dans la tête et dans le cœur.
David Ratte réussit le pari d’enrichir son scenario – d’un futur qui pourrait se réaliser prochainement – d’un drame social, où les femmes finissent par s’affirmer avec force. Et c’est la fraternité et l’humanité qui l’emportent. L’entraide et l’amour plus forts que la haine !
Chronique de Mélanie Huguet – Friedel


© Grand Angle, 2023.