ABARA Intégrale

Depuis quelques années, les éditions Glénat ont la brillante idée de republier en version deluxe grand format une partie de la production d’un des piliers de leur catalogue. Son nom : Tsutomu Nihei. Dès ses débuts, cet esthète est sorti des sentiers battus. Il a su marquer le paysage du manga de son empreinte à jamais, l’intégrale d’Abara est la nouveauté qui fait parler.  

Lieu et date inconnus. Un homme travaille dans une fabrique d’huile, une femme dont on ignore l’identité s’y rend et demande à son supérieur l’autorisation de lui parler. L’entretien se déroule dans une pièce à l’écart des regards, le ton monte entre les deux protagonistes. Le gars en colère se téléporte et disparaît en un éclair dans un grondement, le souffle explose la totalité des vitres à la ronde. Il se nomme Denji Ito.

Il réapparaît perché sur le toit d’un immeuble. Il contemple un spectacle glaçant, quelque-chose s’abat sur la ville dans un torrent de violence. Un monstre invisible massacre et balaye absolument tout sur son passage, il s’agit d’un gauna blanc. Cette aberration meurtrière se faufile entre les immondices de béton et extermine les passants sans la moindre hésitation. En définitive, l’être humain n’est qu’un sac de viande évoluant dans un monde en perdition et dépassé par la situation.

Denji Ito revêt un étrange exosquelette et se transforme en être polymorphe sombre. Il se lance dans la mêlée et engage le combat avec la créature. Les mégastructures fantomatiques vont trembler face à ce choc des titans.

Le cadre est planté, à vous de jouer…

Ce qui marque au premier abord, c’est que l’on est littéralement happé par cet univers singulier sorti d’un esprit fécond et artistiquement enragé dont l’imagination se (pro)jette sur le papier avec fureur et spontanéité. L’auteur aborde ses thématiques de prédilection telles que les avancées médicales, technologiques et le transhumanisme. Il met en avant les dérives et les dangers qui en résultent, de cette recherche scientifique incessante d’immortalité qui engendre la création de monstres sanguinaires. Tsutomu Nihei pousse le concept du héros solitaire et de sa sempiternelle quête de survie en milieu urbain hostile jusqu’au paroxysme. Le récit se rédige de manière dépouillée et n’est pas exempt de quelques défauts. Certains éléments ne trouveront aucune explication logique mais l’artiste propose une intrigue en constante mutation. Un lot de détails est parsemé ici et là dans différentes séries comme Biomega, Knights Of Sidonia et Aposimz. Ils apportent de la cohérence à l’ensemble de la galaxie «niheirienne». Le maestro est un cas à part grâce à sa patte aisément reconnaissable, les aficionados de chaos ambiant seront comblés.

La partie illustrative s’allie à un dessin alternatif. Le crayonné est frénétique, bigarré et hachuré. Les silhouettes sont toujours aussi blêmes (Blame!). Le modelé moebusien fait une entrée fracassante sur les planches et compose avec un séquençage brutal au possible. Les décors sont soignés. Ils se déploient à l’aide d’une architecture protéiforme, elle-même envahie de gigantesques canalisations et de machineries aussi organiques que mécaniques. Les arrière-plans instaurent une atmosphère déroutante et anxiogène. Les pages d’un blanc immaculé tapent l’incruste à l’intérieur d’une pagination dark, elles provoquent une rupture radicale explosant les rétines. L’encre de chine s’immisce dans les moindres espaces et recoins possibles. Une belle preuve que le style vient des entrailles, le design mute en furie graphique.

En conclusion, Abara s’élève au rang d’œuvre archéo-punk avant-gardiste à la fois irréfléchie, irrationnelle et impulsive. Ce pavé s’avérera être une lecture expérimentale galvanisante laissant des scarifications imagées assez vives.   

Chronique de Vincent Lapalus.

© Glénat, 2023

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