Une réunion entre amis n’a pas de prix, squatter une villa de luxe au bord d’un lac permet de se remémorer les vieux souvenirs. La cave à vin est remplie, le garde-manger est bien garni. Les instants KODAK se figent dans le temps. Mais avec The Nice House On The Lake par James Tynion IV accompagné d’Alvaro Martinez Bueno et Jordie Bellaire aux éditions Urban Comics, la situation risque fortement de partir en vrille.
Ryan, Norah, David, Molly, Veronica, Sam, Arturo, Sarah, Naya et Rick espèrent profiter au maximum de l’escapade d’été organisée par leur ami Walter. C’est le genre de gars sur qui on peut compter et il est généralement de bon conseil. Le type possède un don particulier pour réunir des personnalités variées et nouer des amitiés solides. Ce rassemblement tombe à point nommé, les hôtes surexcités occultent complètement les trajets interminables.
Sauf que pour leurs retrouvailles à l’intérieur de cette magnifique demeure, Walter annonce une bien triste nouvelle à ses amis et les assigne à résidence. Les invités se retrouvent prisonniers de leur cage dorée.
Pour les convives, le coup de massue s’accompagne de la dégringolade psychologique. Passer du stade de la relation amicale à la paranoïa, il n’y a qu’un pas. L’euphorie laisse la place à l’angoisse.
James Tynion IV rédige un thriller irrévérencieux agrémenté d’un soupçon de cynisme, il propose un huis-clos implacable précis dans son intrigue et pointu dans les dialogues. Le récit puise sa force dans un contexte très actuel, l’auteur en profite pour développer un imposant casting. Il fait preuve d’une incroyable maîtrise concernant les interactions entre les différents personnages tout en jonglant avec la structure imparable de la narration. L’histoire alterne entre flashbacks et présent, les silences et non-dits tiennent une place importante. Le synopsis ample et dense ne laisse aucune place à l’improvisation. L’architecture influence la construction narrative, le scénariste en fait le cœur même de l’ouvrage. Une simple discussion au salon peut assez rapidement basculer de l’oppression émotionnelle au cauchemar irrationnel. Les motivations propres à chacun, les interactions sont autant des thématiques laissant planer un climat de solitude ambiante que le regard projeté sur le monde d’aujourd’hui. La fièvre, la rage, les pulsions font partie intégrante de l’expérience hallucinatoire de ce titre autarcique. L’action y trouve une belle porte d’entrée.
Alvaro Martinez Bueno et Jordie Bellaire sont en parfaite cohésion graphique et utilisent tout l’espace à leur disposition. Le storytelling se construit de manière aérée, organique et cinématographique. A l’aide de leurs outils, ils donnent naissance à une vision apocalyptique. Le crayonné épais renforce une esthétique «distinguée», l’illustrateur met l’accent sur les lignes et l’expressivité des protagonistes. Le dessin épouse la volupté des formes de façon caractéristique, le sens du design s’associe au rythme de la mise en scène. L’encrage est dru, consistant et poussé. Son impact réside dans le modelé de l’obscurité. Les pigmentations opèrent un mariage parfait avec l’encre de chine, la colorisation gagne en ampleur face à la lumière et l’ombre. Les teintes saturées ainsi que dévastatrices épousent les formes avec complémentarité. Au recoin de certaines pages, les tonalités explosent sous une ambiance colorée et les nuances épileptiques diffusent une atmosphère suffocante. La gestion des masses et l’éclairage sont redoutables, la lecture frôle l’asphyxie.
Au final, The Nice House On The Lake se consomme comme un excellent divertissement un brin effroyable. Maintenant, reste à savoir si la conclusion de ce diptyque aura des relents d’un savoureux buffet froid ou laissera une désagréable sensation de cuisson à l’étouffée. A table !
Chronique de Vincent Lapalus.


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