L’une sinon la meilleure série comic indépendante de ce début du vingt-et-unième siècle fait un come-back fracassant et prend d’assaut les linéaires de nos super-libraires. Dire que son retour était attendu relève du doux euphémisme ! Saga de Brian K. Vaughan et Fiona Staples publiée chez Urban Comics n’a rien perdu de son attrait et se dévore encore plus rapidement qu’avant.
Du haut de ses dix ans, Hazel se métamorphose en jeune fille roublarde comme son papa et possède le don de la punchline cinglante comme sa maman. Les péripéties passées lui ont glissé dessus, elle a su conserver son peps malgré la perte tragique de son père Marko. Hazel voyage de planète en planète en compagnie de sa mère Alana, son frérobot Ecuyer et Bombazine leur nouveau matelot. La «galère» suit son cours.
Pour Alana par contre, c’est la chute libre puisqu’elle sombre dans une existence triste et pathétique. Sa carrière de vendeuse itinérante de lait en poudre, forcée d’exhiber sa poitrine fatiguée pour appâter la clientèle sur les marchés n’est en gros qu’une couverture, la porteuse d’ailettes s’est reconvertie en contrebandière. Alana est une femme célibataire ayant deux gosses à charge et un associé, ça en fait des bouches à nourrir en plus d’une fusée à entretenir. Rentrer de l’oseille rapidement est devenu sa priorité.
Fuyant un astre en guerre, notre clique d’agitateurs se fera aborder dans l’espace par une bande de pirates. Leur chef Skipper propose un contrat à Alana, deux options possibles s’offrent à elle. La première, la daronne livre en solo une cargaison de drogue appelée Evapore sur le planétoïde Périgone. La deuxième, cette famille «recomposée» risque d’être balancée dans le vide intersidéral en cas de refus. Le choix est vite vu, les ennuis commencent…
Le conflit perdure entre les ailés de Continent et les cornus de Couronne. Leurs hauts commandements respectifs recherchent toujours activement Alana et Hazel comme traitresses et aberrations génétiques. Le chasseur de prime Testament sera recruté par le Royaume Robot via Gwendolyn Vez afin de poursuivre la traque. L’agent spécial Gale reprendra du service actif avec pour mission de se débarrasser des potentiels alliés ayant aidé Alana et Marko durant leur cavale. Les partisans de chaque camp ne sont pas prêts de lâcher l’affaire, les embrouilles montent d’un cran supplémentaire…
Nos deux héroïnes devront être discrètes pour passer sous les radars mais c’est plutôt mal barré. Le pire reste à venir.
Brian K. Vaughan est le brillant scénariste qui se cache derrière les projets ambitieux et hits tels que Y le dernier homme, Ex Machina, Paper Girls, The Private Eye et Barrier. L’auteur est monsieur high concept par excellence et LE virtuose de l’utilisation des flash –back et flashfowards. Il évite les clichés et maîtrise l’art de l’intrigue à tiroirs. Saga mêle fantasy et science-fiction, cette bande dessinée est autant une aventure humaine que spatiale et propose un cocktail aussi explosif que drôle. La relation entre les sexes est une thématique que Vaughan aime explorer puis exploiter. Le storytelling resplendit de densité, il sert des protagonistes complexes à l’aide d’une utilisation pointilleuse de situations cocasses. Les scènes osées pimentent le récit complétées par des dialogues crus. Ce space opéra familial mâtiné de fantastique nous transporte au cœur de l’action, le paracosme de Brian K. Vaughan ne connaît aucunes limites.
Fiona Staples est une artiste au talent protéiforme, elle possède la capacité de savoir tout dessiner avec aisance et de s’éclater dans les domaines les plus variés. Le design méticuleux de ce monde imaginaire peuplé de différents personnages, créatures, technologies et environnements est un élément essentiel à la réussite de Saga. Sa mise en page est juste incroyable, survoltée et poétique. L’illustratrice réalise d’abord les layouts en traditionnel pour qu’ensuite la tablette Cintiq et Photoshop prennent le relais avec brio. Staples scanne d’abord les crayonnés afin de les encrer digitalement en fonçant délibérément le trait de manière organique et léchée. Ensuite, elle applique une palette de couleurs numériques à l’aide de divers effets. Ce qui a pour résultat de bombarder les planches d’un rendu à la fois chic, choc, bluffant, lumineux et synthétique selon les besoins narratifs. L’imagerie hybride bat son plein, le graphisme se hisse au niveau du blockbuster visuel.
Le plaisir de retrouver ce génial tandem créatif sur une production régulière nous promet des moments de lecture extraordinaire. Brian K. Vaughan et Fiona Staples méritent amplement un succès critique, commercial et (inter)planétaire étant donné que leur splendide travail collaboratif défie les lois de l’édition. Et vous, laisserez vous une chance à Saga ?
Chronique de Vincent Lapalus

© Urban Comics, 2022.