Par le pouvoir du crâne ancestral et que Crom m’en soit témoin ! Quelques braves issus de l’univers 616 de Marvel organisent une excursion champêtre au célèbre parc Savage Land. Des haches tournoyantes, un lâcher d’animaux fabuleux, une lutte acharnée au pays du Mordor sont au programme d’Amazing Fantasy. L’ostrogoth Kaare Andrews, accompagné aux couleurs par Brian Reber, pilote cet ovni bestial pour les éditions Panini Comics.
1943, Captain America traverse des eaux bouillonnantes infestées par la flotte Nazie. Son navire transporte une cargaison importante, il doit franchir les lignes ennemies. Manque de bol, la mission se termine en touché coulé.
En URSS, Natasha Romanov grandit dans un camp d’entraînement soviétique. La petite veuve noire subit une formation à la dure. Lorsqu’une occasion de s’évader se présente, Natasha prend la tangente. Elle est pourchassée par ses camarades de «classe». C’est au moment où Romanov atteint la forêt qu’un coup de feu retentit.
A Manhattan, Spider-Man se lance une fois de plus dans un sempiternel combat contre son ennemi number one, le Bouffon Vert. A l’aide de ses habituelles pirouettes et lances toiles, Peter tente d’immobiliser Norman Osborn. Les buildings tremblent sous les déflagrations des bombes citrouilles mais la sympathique araignée du quartier protège les passants. Malheureusement pour lui, Peter sera blessé et enseveli sous les décombres.
Le rideau tombe sur nos héros.
Steve Rogers reprend ses esprits sur une plage. Il est seulement vêtu d’un slip en peau de bête, muscles saillants et tout le toutim. C’est alors que surgit de nulle part un lion ailé blessé. La bête est traquée par un dragon que le super-soldat s’empresse de sauver à grands renforts de jets de bouclier. Il est temps pour Captain de faire un rapide état des lieux.
Natasha se réveille sur le dos d’un centaure qui l’a conduit aux portes d’un somptueux palais.
Peter sort du blackout dans la marmite de grenouilles géantes et parlantes. Il doit faire preuve d’humour et d’ingéniosité pour se soustraire au futur buffet froid.
Nos trois protagonistes se retrouvent parachutés sur une île paradisiaque et mystérieuse. Géographiquement, ils sont éparpillés à proximité d’une lune abritant le royaume de Chrome Dren, un monarque machiavélique. La manipulation et la traîtrise, il maîtrise ! Son armée se constitue d’orcs, de morts-vivants et accessoirement de quelques mutants. Chaque homme tombé de précédentes batailles ne fait que renforcer ses rangs.
La tension monte, les tambours de la guerre résonnent. Captain America, Balck Widow et Spider-Man réunifieront les villages pour former un seul bloc face au Mage Noir. En bref, ils devront casser la gueule de l’autre tête de mort en chevauchant félins de combat et reptiles volants. On nage en plein dessin animé !
Kaare Andrews est un artiste polyvalent se fondant dans la mouvance de créateurs qu’il admirait enfant comme Frank Miller, Howard Chaykin, Walter Simonson, Larry Hama ou Jim Steranko. Reprenons ses termes exacts : «J’ai toujours préféré le travail de ces auteurs qui écrivent et dessinent…Il y a une synergie qui se crée…Vous n’entendez qu’une seule voix et c’est ça qui me plaît !». Andrews est l’un des rares à occuper les postes de scénariste, dessinateur, encreur et coloriste sur Amazing Fantasy tout comme sur Iron-Fist et du trop confidentiel Renato Jones. La Maison des Idées lui offre l’occasion de fêter le soixantième anniversaire de cette anthologie alors autant vous dire que le gars s’en donne à cœur joie ! Le récit tire ses racines de classiques imaginés par Robert E. Howard (Conan), Michael Moorcock (Elric) et Robert Louis Steveson (L’Île au trésor). Ces contes où les preux chevaliers affrontent des divinités sinistres en réalisant des exploits épiques, l’auteur flirte également avec la SF, le médiéval fantastique et la fantaisie. Le synopsis part dans un délice Sword and Sorcery sur les variations de la mythologie et de la quête improbable. Andrews puise dans l’imaginaire en ramenant la folie des débuts agrémentée de péripéties farfelues jusqu’à atteindre des rebondissements déments, l’action se répand comme une avalanche. Il s’amuse, prend plaisir à tordre le cou du genre traditionnel pour accoucher d’une fable primitive à la fois fertile, fun et créative.
Concernant le dessin, Kaare Andrews s’inspire de Frank Frazetta, le célèbre virtuose qui a durablement marqué l’Heroic Fantasy. Le melting-pot graphique brasse les techniques visuelles des Golden, Silver et Dark Ages du comic-book selon les époques où évoluent les personnages. Le crayonné souple et élastique insuffle de la patate aux pages sans oublier de proposer un magnifique travail sur la composition et le caractère du trait. Le découpage se façonne avec des perspectives faites d’angles de vues insaisissables. L’illustrateur accorde une importance particulière aux arrière-plans, ils se déploient dans de grands espaces panoramiques et luxuriants avec un sens poussé du détail. Andrews se défoule à l’aide d’un storytelling pied au plancher pour développer une mise en scène endiablée et chorégraphiée. L’encrage et la colorisation se combinent harmonieusement pour noircir ainsi qu’ambiancer les lignes, l’ombre et la lumière déferlent sur le papier. La pigmentation varie selon l’atmosphère réfléchissante ou cauchemardesque. Le climat est démentiel dès les premières planches.
Seul un fou furieux du calibre de Kaare Andrews était en mesure d’inventer une mini-série aussi pop, déjantée que barbare. Amazing Fantasy se consomme sans réserve façon feel-good grâce aux bons soins d’un bédéiste profondément possédé et déchainé. Ce trublion canadien, ce sale gosse de la bande dessinée ricaine a littéralement dynamité l’usine à merveilles qu’est Marvel. C’est d’la racaille d’artiste ça, alors respect !
Chronique de Vincent Lapalus.
